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article CD'idées 26 sep. 2023

Quels sont les ressorts de la performance des territoires industriels ?

Caroline Granier est docteure en Sciences Économiques et Cheffe de projet à La Fabrique de l’industrie - un laboratoire d’idées dont la raison d’être est d’apporter un éclairage sur les questions industrielles en France et en Europe et de permettre à la réflexion collective sur les enjeux industriels de gagner en ampleur et en qualité -. Ses recherches portent sur les dynamiques territoriales, la gouvernance d’entreprise et l’industrie du futur. Elle est l’auteure de la Note « Refaire de l’industrie un projet de territoire » dans laquelle sont présentés les enseignements des travaux menés entre 2018 et 2022 par l’observatoire des Territoires d’industrie[1] sur les ressorts locaux de la réindustrialisation. Elle rend compte de diverses initiatives de développement (ou de déclin) de l’industrie, déployées un peu partout sur le territoire français. Interview.

Pouvez-vous nous présenter les travaux conduits dans ce cadre ?

Face au mouvement de désindustrialisation que connaît la France depuis les années 70, nous sommes confrontés à un défi majeur qui consiste à trouver des solutions pour relancer l’industrie dans nos territoires. Celle-ci est capitale en termes de souveraineté et de compétitivité : elle est à la fois productrice de valeur, source d’emploi local et de dynamisme territorial. 

Nos travaux de recherche ont été conduits dans le cadre de l’observatoire des Territoires d’industrie en 2019, quelques mois après le lancement du programme initié pour accélérer la reconquête industrielle. Nous souhaitions comprendre les facteurs de succès et de déclin des territoires et, surtout, donner la parole aux acteurs locaux. 

Plus précisément, notre objectif était de mettre en évidence les actions mises en œuvre localement, et par quels types d’acteurs, afin d’identifier les ressorts du dynamisme industriel de nos territoires; et dans une moindre mesure, de regarder comment redonner une image positive de l'industrie dans notre imaginaire collectif, notamment auprès des jeunes, et améliorer l'acceptabilité sociale des projets industriels.

Pour cela, nous avons analysé de manière approfondie[2] plusieurs aspects et diverses initiatives de développement - ou de déclin - de l’industrie déployées sur le territoire français. Nous avons échangé avec les industriels pour comprendre leurs besoins et leurs souhaits en matière d'implantation; nous avons pris en considération l’implication des collectivités locales – en matière d’incitations fiscales, d’infrastructures, etc. - pour favoriser l'implantation et le développement de l'industrie sur leur territoire; nous avons cherché à comprendre si des réseaux d'acteurs locaux étaient en place, permettant aux entreprises de collaborer, de partager des ressources et de créer des synergies pour renforcer l'industrie locale; sur la question des compétences, nous avons également observé les efforts déployés par les organismes locaux, tels que les maisons de l'emploi, pour répondre aux besoins de main d’œuvre de l'industrie.

 

Que retenez-vous principalement de cette étude ?

Le fait, tout d’abord, qu’il n’y a pas déterminisme même si les conditions locales « de base » ont une influence prépondérante sur la trajectoire que va prendre un territoire. On peut citer à cet égard la proximité de voies naturelles de communication et l’existence d’infrastructures de transport qui permettent l’acheminement des marchandises et la mise en réseau avec d'autres acteurs dont a besoin l’industrie pour se développer. Cela peut être également la présence de ressources naturelles, comme un sol fertile ou l'existence d'un savoir-faire local à l’instar de Cognac où les Cognaçais, héritiers d’un savoir-faire ancestral, ont su développer les compétences nécessaires pour valoriser les sols sous la forme de cognac.

La disponibilité du foncier a également un effet important sur la structure industrielle du territoire. Bâtir une industrie nécessite d’avoir à disposition des terrains, et de fait, certains territoires pâtissent de la rareté et du prix élevé du foncier pour y implanter des activités industrielles.

Autres éléments incontournables : la disponibilité de la main-d’œuvre et la présence d'organismes de formation professionnelle qui permettront l'acquisition et la transmission des compétences nécessaires au territoire.

En outre, les stratégies des acteurs industriels s’avèrent cruciales. La faculté à innover, la capacité à adopter des stratégies de diversification - des activités et des produits - ont permis à certains territoires de se renouveler. Les acteurs de Cognac se sont ainsi diversifiés vers la production de spiritueux autres que le cognac. L’Alsace centrale a développé depuis le XIXème siècle une culture de l'innovation via notamment des collaborations entre les établissements de formation et de recherche et les entreprises. Enfin, le développement d'un réseau d'entreprises, où les acteurs se connaissent et collaborent, favorise la création de synergies et une dynamique industrielle forte.

Et enfin, dernier ingrédient essentiel : la capacité des acteurs locaux, que ce soient les industriels, les élus, les services des collectivités territoriales ou les associations de riverains, à se mobiliser et à se fédérer autour d'un projet industriel commun. D’évidence cette donnée ne suffit pas seule, mais lorsque les acteurs partagent une vision commune de l'avenir de leur territoire, cela facilite la mise en œuvre du projet. A l’inverse des désaccords initiaux ou des oppositions très fortes entraînent immanquablement des blocages difficiles à surmonter, comme observé dans le cas de Seine-Aval, où les intercommunalités ne partagent ni la manière de fonctionner ni leur vision de la place de l'industrie sur leur territoire.

En somme, il n'existe pas de recette unique, chaque territoire doit trouver une manière unique de combiner ces différents leviers pour créer sa propre trajectoire industrielle. Tant sur le plan de leur spécialisation industrielle que des actions mises en œuvre par les acteurs locaux, la résilience industrielle dépend donc à la fois de la structure héritée, des conditions locales et de la mobilisation des acteurs.

 

Quelle est votre vision des territoires d’industrie dans le futur ?

Il n'existe pas de modèle unique d’un territoire industriel idéal. En France, notre richesse réside précisément dans la diversité de nos territoires industriels, et l'objectif est de cultiver et de préserver cette diversité. Il est d’autant plus essentiel de maintenir une diversité économique dans un contexte de mondialisation de l'économie car notre industrie est fortement soumise à cette concurrence internationale. L'objectif est de créer localement de l'emploi tout en conquérant des parts de marché à l'échelle mondiale.

Il va de soi qu’il est tout aussi primordial de maintenir notre capacité à innover. Mais si l’industrie 4.0 fait bien partie du paysage de l’industrie de demain, l’innovation ne se résume pas au numérique et à tout autre forme de bond technologique ; l’innovation doit aussi s’envisager sur le volet social et sur le plan environnemental.

Face aux enjeux de transition climatique, promouvoir des processus industriels plus respectueux de l'environnement, cela passe notamment par des ajustements, des mécanismes d'économie circulaire où les déchets d'une industrie deviennent les matières premières d'une autre, et d'autres initiatives similaires.

 

Les travaux de l’observatoire vont-ils se poursuivre, et si oui, dans quelle direction ?

Les travaux de l'Observatoire des Territoires d'Industrie se prolongeront pendant deux années supplémentaires. Tous les partenaires ont convenu de mettre l'accent sur trois axes principaux de recherche : la transition écologique, le développement de l'industrie verte, ainsi que la résilience des territoires. Cependant, notre fil conducteur demeurera l'analyse des mécanismes permettant à certains territoires de retrouver leur dynamisme quand d'autres peinent à y parvenir.

 

Pour approfondir :

Couverture des Cahiers de l'Institut CDC pour la recherche  "Comprendre la performance des territoires industriels"

Comprendre la performance des territoires industriels : trois études de cas

Qu’ont en commun Angoulême-Cognac, Seine Aval-Mantes et Alsace centrale ? Tous trois labellisés Territoires d’industrie, ces territoires présentent une forte spécificité industrielle.

Le poids du secteur industriel dans l’emploi y est en effet plus important que celui observé à l’échelle nationale. Ces trois territoires ont également été caractérisés par un « effet local » positif, à savoir une croissance de leur emploi industriel ou une décroissance moins marquée que sur l’ensemble du territoire, liée à des déterminants locaux. Ce cahier de recherche, réalisé dans le cadre du partenariat avec l’Observatoire des Territoires d’Industrie, tire les enseignements de trois études de terrain réalisées dans les territoires Angoulême-Cognac, Alsace centrale et Seine-Aval Mantes et s’attache à expliquer les performances des territoires pour l’industrie. 

Couverture de la note "Refaire de l'industrie un projet de territoire"

Ce cahier de recherche s’appuie sur la Note de La Fabrique de l’industrie :  Refaire de l'industrie un projet de territoire , paru en mai 2023 aux Presses des Mines.

 

 

 

 

 

 

[1] L’Observatoire des Territoires d’industrie est un centre de ressources qui produit des études et organise un cycle de séminaires mensuels afin de mieux faire connaître les ressorts du développement industriel de nos territoires. Il associe La Fabrique de l’industrie, la Banque des Territoires, l’Institut pour la recherche de la Caisse des Dépôts, l’Agence nationale de la cohésion des territoires, la Fondation Mines Paris, Intercommunalités de France et Régions de France.

 

[2] A partir de témoignages de première main recueillis dans le cadre de séminaires mensuels avec l’ensemble des acteurs locaux, d’études de terrain et de visites d’usines situées dans des zones labellisées "Territoire d'Industrie"