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Certes, la question de l’eau revient chaque année en force dans les esprits, après chaque épisode de sécheresse ; le dernier en date remonte à l’été 2023. Mais depuis plusieurs années déjà, la problématique est bien présente dans les territoires, notamment par le biais des Agences Régionales de la Santé (ARS). Celles-ci se soucient tout particulièrement de la santé humaine, notamment l’eau potable, et se fait plus attentive, à travers les documents de planification par exemple, à sa prise en compte. Alors que certaines communes voient d’ores et déjà leur développement se freiner du fait de l’absence d’eau potable, certaines collectivités peinent à changer leurs habitudes dans leur mode de développement en dépit de la raréfaction de cette ressource.

En Bourgogne-France-Comté, par exemple, des sources karstiques sont captées pour approvisionner en eau potable la population. Toutefois, elles sont sujettes aux fluctuations des précipitations ainsi qu’aux aléas d’un fonctionnement karstique qui peut être parfois complexe à appréhender. Ainsi, parfois plusieurs années consécutives, il arrive que des communes se trouvent dans l’obligation de faire appel à des camions citernes pour apporter de l’eau potable à leur population, quand il ne pleut pas assez ou quand les sources se tarissent, en période estivale essentiellement.

Un choix politique fort

Le fait est que ce manque d’eau potable pouvant être pallié assez simplement par un approvisionnement extérieur, auprès de communes voisines notamment, la question de la disponibilité de la ressource n’est pas centrale dans la perspective d’un développement de la commune ou d’un territoire. Le discours usuel est : « on trouvera toujours une solution, on ne va pas laisser nos habitants mourir de soif ». La volonté de maintenir un développement et une croissance prévaut sur la prise en compte de la ressource en eau. Pour une vraie prise de conscience, il est essentiel de positionner la question de l’eau au même niveau que celle du foncier par exemple. C’est un choix politique fort, un engagement à tenir et une position à affirmer.

Ce sujet est une question de court mais aussi de long terme. Et le SCoT est un des outils appropriés pour inscrire le sujet de l’eau sur le temps long. Son échelle, qui concerne des territoires assez vastes, pouvant regrouper une centaine de communes - voire plus -, recouvre au moins un bassin versant, parfois plusieurs. Cependant, qui dit territoire vaste dit multiplicité d’acteurs. Et c’est particulièrement vrai en ce qui concerne la ressource en eau potable. Celle-ci est souvent la chasse gardée des communes, et il faut aussi compter sur des syndicats - qui peuvent couvrir des centaines de communes -, l’intercommunalité, les SAGE (Schéma d’Aménagement et de Gestion de l’Eau), l’Etat, les agriculteurs… Sachant qu’il peut arriver que les compétences soient partagées entre les différentes entités : production, distribution transfert. La difficulté est alors de mettre tout le monde autour de la table, ce qui peut signifier réunir 20, 30 ou 40 acteurs différents, sur un sujet qui peut être clivant !

La donnée, outil essentiel

La deuxième grande difficulté concerne la donnée, qui reste complexe à obtenir, tout spécialement sur l’aspect quantitatif. Elle est parfois trop ancienne (au-delà de 5 ans, les fluctuations sur la consommation ou la disponibilité de la ressource peuvent être importantes), parfois manquante (absence de suivi, de relevé, de documents récapitulant…). Or, c’est l’un des outils qui va permettre de se projeter sur 20 ou 30 ans : il faut savoir d’où l’on part pour savoir là où l’on va. Faute de données fiables, on ne pourra pas évaluer l’évolution de la disponibilité de l’eau potable dans les années à venir. Et les élus peuvent tout à fait remettre en cause une donnée considérée comme trop ancienne. Il est aussi délicat pour un élu de pointer une commune qui manque d’eau – ce serait compromettre son développement.

Dès lors, comment porter ce discours auprès des administrés ?

On en arrive donc à une logique de développement commun à tout le territoire, avec une gestion au cas par cas, en déléguant aux PLU, communaux ou intercommunaux, la vérification de la disponibilité en eau potable. Les communes connaissant des problèmes d’approvisionnement en eau potable sont généralement des petits villages, a contrario des plus grandes villes, plus structurées, qui disposent d’une ingénierie et peuvent donc anticiper. Faute de tels moyens les villages ne peuvent fonctionner qu’au coup par coup, résoudre les problèmes quand ils se présentent.

La compétence « eau » aux EPCI

Parmi les leviers qui vont permettre une meilleure prise en compte de la ressource en eau et de son évolution dans le développement, la loi 3DS (Différenciation, décentralisation, déconcentration et simplification) prévoit que la compétence « eau » soit assumée par les EPCI à partir du 1e janvier 2026.

Celles-ci commencent à se doter d’outils et à mener des études pour connaître leur patrimoine « eau », leurs sources d’alimentation en eau potable, voire à mener des démarches prospectives quant à leur évolution, en lien avec les conséquences du changement climatique (modification des régimes des précipitations, étiages plus sévères, sécheresses plus longues, etc.) ; et ce, afin qu’au moment de la prise de compétence, les collectivités puissent avoir une vision d’ensemble de leur patrimoine, mais aussi des volumes prélevés et consommés, des coûts, de l’état du réseau, etc. Elles pourront ainsi réfléchir à leur stratégie, programmant leurs travaux, et anticipant l’état futur des ressources. Dans la planification territoriale, il s’agit d’un élément qui parait fondamental mais qui doit aussi être au centre des projets.

Lorsque les interlocuteurs seront réduits, avec les EPCI et quelques syndicats structurés, les discussions autour de cette thématique parfois conflictuelle (usages agricole, résidentiel, récréatif, confrontés aux volumes nécessaires au maintien de la biodiversité et du patrimoine naturel) seront plus simples, notamment pour la prise en compte dans les documents d’urbanisme. Qui plus est, la dizaine de représentants restant autour de la table, bénéficiera d’un niveau de connaissance et de technicité comparable.

Comme cela a été observé sur l’assainissement des eaux usées, là où des EPCI ont déjà pris la compétence : la question est plus simple à aborder et à appréhender sur l’ensemble du territoire de manière homogène. En outre, les données récoltées, qui seront récentes, complètes et fiables, ne pourront plus être remises en question. Celles-ci constitueront un socle solide et permettront, là aussi, de mieux se projeter.

Des études prospectives sur le comportement de la ressource en eau, sur 20 ans ou plus, accompagneront les discussions, déverrouillant des situations parfois complexes, dans les secteurs karstiques ou cévenoles par exemple. Dans le cadre d’un SCoT, la prise en compte de la disponibilité de la ressource en eau dans le développement d’un territoire, aujourd’hui perçu comme un problème épineux insoluble voire inexistant, pourra s’en trouver grandement facilitée.