Le numérique transforme notre société et le commerce n’est pas en reste face aux bouleversements qu’il induit. Les pratiques de consommation évoluent et le métier de commerçant est fortement impacté par le digital : celui-ci leur permet de renforcer leur visibilité, de mieux informer leurs clients et de mieux répondre à leurs besoins, ou encore de développer de nouveaux canaux de vente, complémentaires au point de vente physique.

Si, dans leur majorité, les commerces de proximité sont longtemps restés à l’écart de ces transformations, la crise du Covid-19 a contribué à mettre sous le feu des projecteurs la question de leur digitalisation ( voir le billet Dynamiser le commerce de centre-ville en un clic ?). Les périodes de confinement et de fermetures des commerces « non essentiels » ont favorisé la prise de conscience collective de la nécessaire transformation numérique des petits commerces, à la fois pour amortir l’impact de la crise sur leur activité, mais également pour s’adapter à l’évolution des modes de consommation.

Ainsi, dès le printemps 2020, de nombreuses collectivités se sont mobilisées afin de mettre à disposition des solutions numériques dédiées au commerce local. Ces solutions sont diverses et visent à apporter des réponses à plusieurs enjeux :

  • Renforcer la visibilité en ligne des commerçants, à travers des sites « vitrine » qui regroupent des informations pratiques sur les commerces d’un territoire donné ;
  • Faciliter la vente en ligne, via des « places de marché » ou « marketplaces » locales qui permettent à plusieurs commerçants de mutualiser et de vendre en ligne leurs produits et services ;
  • Inciter à la consommation locale, à travers des solutions de type carte de fidélité ou de gestion digitale de chèques-cadeaux

C’est dans ce contexte que la Banque des Territoires s’est associée au plan gouvernemental annoncé le 29 juin 2020 en faveur du commerce de proximité et de l’artisanat, en contribuant au financement de la mise en place de solutions numériques par les collectivités locales destinées au soutien des commerces de proximité. La Banque des Territoires a ainsi mobilisé une aide prenant la forme d’une subvention aux collectivités locales bénéficiaires des programmes Action Cœur de Ville puis Petites Villes de Demain, à raison d’une par ville, pour la mise en place d’un nouveau service ou l’évolution d’un service existant.

Au total, 128 villes du programme Action Cœur de Villes et 248 collectivités lauréates du Programme Petites Villes de demain ont bénéficié du soutien de la Banque des Territoires.

En octobre 2021, la Banque des Territoires a lancé une démarche d’évaluation de l’impact du financement de ces solutions numériques sur les commerçants, les collectivités et les offreurs de solutions, réalisée par la SCET, qui s’est notamment appuyée sur une enquête en ligne et des entretiens auprès de représentants de 12 territoires.

Focus : Méthodologie de l’étude

Objectifs de l’évaluation :

  • Qualifier les impacts des solutions numériques portées par les collectivités sur les commerçants utilisateurs ;
  • Expliquer l’impact positif - ou au contraire l’absence d’impact - de ces solutions sur les commerces locaux ;
  • Identifier l’impact de la mesure sur les offreurs de solutions et sur les collectivités locales.

Données collectées :

  • Une enquête en ligne a été adressée à l’ensemble des collectivités bénéficiaires de la mesure au 1er octobre 2021 (107 répondants sur 190 collectivités ayant solllicité la subvention au moment du lancement de l’évaluation),
  • 29 entretiens ont été menés auprès des acteurs (collectivités, offreurs de solution, commerçants) représentant 12 territoires (ACV et PVD) et synthétisés dans des fiches monographiques ;
  • des entretiens « contre-point » avec des collectivités non bénéficiaires ont permis de mettre ces résultats en perspective. 

Des impacts économiques visibles surtout pendant les périodes de confinement, et qui restent limités

L’évaluation a montré que l’adhésion des commerçants aux solutions numériques déployées par les collectivités a été relativement forte pendant la période de fermeture des commerces, elle a ensuite diminué une fois les commerces réouverts. Elle varie également selon le type de solution utilisée, les cartes de fidélité connaissant un taux d’adhésion significativement plus élevé que les places de marché. 

Une certaine variabilité s’observe également concernant le chiffre d’affaires généré par les solutions déployées. En effet, si un impact sur le maintien du chiffre d’affaires a bien été ressenti pendant les périodes de fermeture des commerces, où les solutions numériques ont joué un rôle d’amortisseur des pertes des commerçants, une minorité de collectivités identifient un impact durable sur le chiffre d’affaires, une fois les commerces réouverts [fig. 1]. L’enquête souligne le manque de visibilité tant des collectivités que des commerçants sur cet indicateur.

Enfin, si pour une légère majorité de collectivités, la mise en place de ces solutions n’a pas eu d’impact sur la fréquentation des centres-villes, plus d’un tiers estiment que l’impact a été ponctuel, voire durable. Certaines communes évoquent également une diversification de la clientèle de certains commerces.

Ces différentes observations témoignent du défi de la pérennisation des solutions dans le temps, et de la nécessité de les inscrire dans des démarches globales de redynamisation des commerces de centre-ville. Une fois passés les moments de crise les plus aigus, les solutions mises en place ont suscité moins d’intérêt, souffrant parfois d’un manque d’animation et d’une moindre mise en avant.

 

Figure 1 - Perception de l’impact de la solution sur le chiffre d’affaires des commerçants

Précisons cependant que l’intérêt des solutions digitales ne se limite pas aux bénéfices économiques, et que la digitalisation des commerces constitue un enjeu majeur pour répondre à la demande des consommateurs.

Des impacts significatifs en matière de mise à l’agenda de la digitalisation des commerces de proximité

Au-delà des incidences économiques directs sur le chiffre d’affaires des commerces, ces solutions ont ainsi eu des impacts significatifs en termes de prise de conscience des enjeux commerciaux associés à la présence en ligne, et de structuration des acteurs locaux. En effet, ces solutions n’avaient le plus souvent pas été envisagées avant la crise [fig. 2]. Elles ont également permis aux commerçants utilisateurs de découvrir de nouvelles modalités de fidélisation et de marketing. Plus largement, les actions d’accompagnement et de formation mises en place autour du déploiement de ces solutions numériques ont conduit à une réelle montée en compétence des commerçants en matière d’utilisation des outils digitaux.

 

Figure 2 – Réponses à la question « La solution numérique était-elle déjà en projet avant la période de fermeture des commerces liée à la crise sanitaire ?

En outre, l’étude suggère que la coopération entre les commerçants des centres-villes a été renforcée par ces dispositifs, à travers par exemple l’organisation d’évènements communs, voire l’émergence d’une forme d’entraide autour du fonctionnement des plateformes et du référencement des produits. La relation entre collectivités et commerçants a également été structurée grâce à ces dispositifs.

La mise en place des solutions numériques a souvent constitué une première brique d’une démarche plus vaste portée par les collectivités en matière de digitalisation des commerces : celles-ci ont été nombreuses à mobiliser un manager de commerce ou une personne dédiée pour la mise en place d’actions d’animation et d’accompagnement autour du numérique, à proposer des formations, ou organiser des évènements dédiés avec les commerces. La subvention apportée par la Banque des Territoires semble avoir joué un rôle d’accélération, voire de déclenchement, des initiatives des collectivités visant à renforcer le volet numérique de leurs politiques de redynamisation commerciale.

Des facteurs clés de succès liés à l’implication des acteurs locaux

L’évaluation a montré que le succès d’une solution dépend de la conjonction de nombreux facteurs [1] :

  • L’adaptation aux besoins du territoire et l’appropriation par les commerçants et leurs associations, en collaborant avec eux dès le début de la réflexion ;
  • La mise en place d’une communication anticipée et préparée auprès des commerçants mais également auprès du grand public pour générer du flux ;
  • Un effort continu pour « faire vivre » la solution numérique, l’adapter au marché local, organiser son animation et la formation de ses utilisateurs ;
  • La définition d’un positionnement autour d’une stratégie claire et différenciante pour attirer les consommateurs, appuyée sur une stratégie de contenu forte et la valorisation de l’identité locale.

Les fournisseurs de solutions ont d’ailleurs largement contribué à accompagner les collectivités dans la mise en place d’actions de formation organisation de webinaire, mise en place d’une hotline, d’animation et de communication. Ils ont adapté leur offre de service pour répondre aux attentes des collectivités et aux nécessités de la crise.

Pour autant, les fonctionnalités des solutions n’apparaissent pas nécessairement comme les facteurs les plus différenciants : par exemple, la disponibilité de service de livraison ou le paiement en ligne plutôt que la seule réservation de produits ne permettent pas d’expliquer le succès d’une solution plutôt qu’une autre.

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L’évaluation a ainsi montré que si la crise a contribué à accélérer la diffusion de solutions visant à la digitalisation des commerces de proximité, l’impact de celles-ci a été limité sur le plan économique une fois passées les périodes de confinement. Le phénomène va bien au-delà de l’utilisation des solutions numériques, puisque si la vente en ligne a continué à progresser en 2021 et 2022 et que de nouvelles formes de consommation liées au numérique se sont développées (livraison à domicile, drive…) [2], la présence en ligne des commerces de centre-ville semble quant à elle marquer le pas.

Si la mise en place de solutions a joué un rôle essentiel dans la mise à l’agenda local de ces enjeux de digitalisation et dans la prise de conscience que le numérique constituait un levier essentiel des politiques de dynamisation des centres-villes, le mouvement de digitalisation des petits commerces observé pendant les périodes de confinement semble se ralentir, alors même que la fréquentation des commerces de centre-ville n’a pas retrouvé son niveau de fréquentation de 2019 [3].

Avec le retour progressif à la normale de la situation sanitaire, le défi est de taille pour pérenniser les démarches engagées pendant la crise, pour continuer à accompagner la transformation numérique des commerces de proximité et ainsi répondre à la demande des consommateurs, et plus largement pour faire de la transformation numérique un levier durable des politiques de redynamisation commerciale.

 

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Notes

[1] Ces facteurs se retrouvent notamment mis en avant dans le guide de la Banque des Territoires « Dynamiser le commerce de centre-ville en un clic ? »

[2] FEVAD, Bilan du e-commerce en France en 2021

[3]Observatoire de la fréquentation des commerces Procos/StackR, Février 2022

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Télécharger Localtis Mag N°5 / Juin 2022

 

Ce numéro est l’occasion d’une réflexion, après de longs mois de crise sanitaire et de confinements, sur les enjeux des villes et des centres-villes. Alors que la crise a réveillé les consciences, provoqué de nouvelles pratiques de travail, de consommation, de mobilité et suscité de réelles aspirations, la question de l'organisation et de la désirabilité des territoires urbains est devenue incontournable.