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article CD'idées 30 oct. 2023

ZAN : pourquoi la réduction de l’artificialisation des sols est-elle si difficile à faire accepter ?

L’effort de réduction de l'artificialisation des sols n'est pas une préoccupation nouvelle, elle structure depuis près d'une quinzaine d'années les procédures de planification territoriale au travers d'exercices de calcul de consommation foncière qui justifient les projets d'extension géographique de l'urbanisation. Pour les collectivités cependant, l'application de la loi sur le Zéro artificialisation nette (ZAN) des sols est souvent synonyme de casse-tête, et suscite de nombreuses réserves de la part d'une partie des élus locaux.

 

Q : Si ce n'est pas une révolution, pourquoi  la réduction de l’artificialisation des sols est-elle si difficile à faire accepter ?

Pierre Albert : Avant toute chose, il y a eu de toute évidence un accompagnement du projet de loi qui s’est avéré insuffisant. En effet, il aurait fallu rappeler d’où l’on vient, et mieux expliquer où l’on va. De nombreux territoires ont développé de nouvelles approches pour répondre à l’évolution du code de l’urbanisme, mais d’abord dans une optique positive car ils souhaitaient réorienter le destin de leurs territoires. Le Scot du territoire d’Agen en est l’illustration, avec un SCoT établi de longue date et actuellement en cours de révision, ainsi qu’un troisième PLUI à ce jour. Leur vision s’est affinée, affirmée, les conduisant à renoncer à l’étalement urbain et à mettre en œuvre de orientations d’aménagement réduisant l’artificialisation.

En revanche, il me semble assez naturel pour les communes dont le PLU est communal - sans véritable réflexion intercommunale, ne serait-ce que dans un SCoT- que le ZAN soit accueilli avec inquiétude. Très souvent, par choix ou par nécessité, ces communes ont observé une pause dans leur consommation foncière, et par conséquent celles-ci ne vont pouvoir justifier que des besoins très limités pour le futur. Elles vont devoir abandonner des documents d’urbanisme réglementaire (cartes communales ou PLU) en général très permissifs, pour en approuver de nouveaux, très restrictifs. Il est difficile de leur dire que l’on va les accompagner pour « faire du projet et pas simplement du développement urbain ».

Mais tous mesurent aujourd’hui que la grande difficulté tient au fait que cette loi est nationale, et que par conséquent, elle se heurte à la réalité de la diversité des contextes locaux.

 

Q : Et en ce qui concerne les opérations d’aménagement, quand la question de la réduction de l’artificialisation des sols est-elle entrée en jeu  ? Comment structure-t-elle les projets ?

Arnaud Le Lan : Les questions relatives à la réduction de la consommation foncière ont jusqu’à assez récemment, étrangement épargné les opérations d’aménagement. Il faut reconnaître qu’elles mettent à mal le modèle de développement urbain des trente dernières années, particulièrement sur les territoires les moins urbains, où le modèle pavillonnaire a prospéré. Dans les villes moyennes, agglomérations et métropoles, le constat n’est pas le même car elles ont été prises à bras le corps par les aménageurs. Cela étant, le contexte était plus favorable pour une raison évidente : le foncier coûte cher, il y a donc une logique d’optimisation et de valorisation à l’œuvre. La promotion de la densité du bâti collectif et individuel est assurée depuis longtemps déjà.

D’évidence, l’insuffisance de l’accompagnement de la loi et ses conséquences est un « caillou dans la chaussure » de nombreux territoires à l’écart des dynamiques de développement, qui disent « certes, il ne se passait pas grand-chose chez nous, mais maintenant on doit accepter qu’il ne se passera jamais rien ». A moins de faire du projet, renouveler, densifier… mais pour y parvenir, il faut des projets et des moyens techniques que souvent elles n’ont pas.

Dans ces territoires, il faut resituer les enjeux : au-delà de l’étalement, il faut déterminer comment maintenir un certain niveau de population et de services de proximité : boulangerie, pharmacie, etc. Mais la limite de l’exercice, c’est qu’il y a rarement un marché permettant de remodeler les centres de petites communes pour produire une offre immobilière de produits réhabilités.

 

Q : La dynamique de développement urbain par l’étalement est pourtant délétère à double titre : on a créé une concurrence urbaine et économique entre le centre et sa propre périphérie qui a capté les habitants, les commerces, etc. Et les villages périphériques n’ont été ni équipés ni développés puisque l’on disposait des équipements de la ville-centre et que l’on développait les nouveaux équipements dans la ville « diffuse », les centres commerciaux d’entrées de villes. 

Or, aujourd’hui, ces espaces, qui sont les plus récemment créés, sont aussi les plus contestés, et identifiés pour être renouvelés. Que faut-il faire de ces espaces ?

Pierre Albert : Ces développements sont le produit d’un urbanisme qui a été, souvent malgré lui; ultra libéral. Nous avons promu des modèles de développement peu chers et surtout très rentables. Tout un pan de l’économie de la construction est positionné sur ce segment. Quand il se dit « il n’y a pas de modèle économique » pour la reconquête des centres ou le renouvellement des entrées de villes, il faut entendre qu’il n’y a plus la même simplicité ni les mêmes marges.

Quant aux entrées de ville, les contextes sont très différents selon l’importance de la ville : dans les grandes villes, ces espaces appartiennent souvent en grande partie à d’importantes foncières qui ont déjà des projets de valorisation de leur patrimoine, ce qu’elles feront seules. Mais dans les moyennes et petites villes, il y a un morcellement de la propriété foncière, avec une multitude de propriétaires qui le plus souvent manquent d’idées et de ressources. Le besoin d’ingénierie publique va devenir prégnant et les petites collectivités vont avoir besoin d’aides, mais le plan programme de l’État pour les entrées de villes représente seulement 14 millions d’euros, ce qui n’est absolument pas à l’échelle des enjeux.

Arnaud Le Lan : L’incidence du changement de modèle économique est loin d’être neutre, il ne faut pas négliger que le secteur du BTP c’est 12 % du PIB français.  Cela justifie les politiques publiques en matière de soutien à la construction, les zonages, etc. Il a fallu, à un moment donné, accélérer la production urbaine et immobilière, et faute d’une filière de la promotion suffisamment structurée, les institutions ont accompagné le développement du logement individuel. Pour les entrées de villes, l’enjeu de leur reconversion réside dans leur transformation en ville « ordinaire », avec des activités économiques certes, mais surtout du logement, des équipements, etc.

Dans ces trajectoires, il faut veiller au foncier économique ; assurément, les zones d’activités ont fleuri partout en France, mais l’enquête publiée en 2022 par Intercommunalités de France estimait qu’à horizon de moins de 10 ans, ces zones atteindront un taux de saturation de 93 %. Or nous savons déjà que les principales filières impactées par le ZAN seront celles du foncier et de l’immobilier économique.

Certains choix vont être cornéliens et il est temps de redonner une valeur sociétale au foncier. Le foncier économique doit faire l’objet, parfois, de mesures conservatoires, et le grand enjeu du développement économique à venir est de rendre sa gestion beaucoup plus dynamique. Au cours des 40 dernières années, il a été appréhendé de manière très patrimoniale, notamment par des entrepreneurs qui développent leur immobilier d’activité, en créant leur SCI, dans le but de leur transmission. Ceci explique le peu de plasticité des zones d’activités. Il faut arriver à les rendre beaucoup plus évolutives, à rompre avec les logiques patrimoniales tout en préservant les intérêts économiques en jeu. Différentes solutions sont étudiées comme la dissociation foncier / bâti, le démembrement nu-propriété / usufruit, etc. Une action publique foncière volontariste est nécessaire, couplée à l’engagement de réflexions stratégiques de planification foncière associées à l’exercice de planification urbaine.

 

Q : Qu’en est-il de la vacance, notamment au regard de l’évolution de la demande immobilière ? Parvient-on aujourd’hui à mobiliser la vacance et/ou a-t-on des perspectives de mieux la mobiliser ? Que faudrait-il faire en matière d’aménagement du territoire pour mieux la valoriser ?

Pierre Albert : L’alternative est posée de longue date : soit on adopte une logique de péréquation – celle du plan – pour rééquilibrer géographiquement les disparités économiques et sociales - cette option qui était celle des années 70/80 n’a malheureusement plus cours - ; soit on reste sur l’option actuelle de la régulation par le marché, en escomptant que la réduction de l’offre dans certains territoires réorientera la demande vers d’autres territoires. Cette logique a produit l’étalement urbain, un désastre ; que produira-t-elle désormais ?

La communication autour du choix de Dunkerque pour l’implantation d’une giga-factory a mis en avant le renouveau de l’aménagement du territoire. Néanmoins, si les investisseurs sont allés à Dunkerque, c’est qu’ils le voulaient. Un investisseur économique, industriel ou autre, n’ira pas là où il ne souhaite pas aller. A une autre échelle, il en est de même pour les actifs au niveau de leurs choix résidentiels.

Arnaud Le Lan : C’est très juste, mais je considère que c’est en train de changer. Concernant la métropole de Lyon, quand les services ne sont pas en capacité de proposer à un prospect industriel une offre foncière correspondant à ses besoins, ils le dirigent vers Saint-Étienne en jouant la carte inter-métropolitaine. Idem à Toulouse, dont le bureau d’accueil investisseur redistribue la demande dans son grand territoire élargi, vers Castres ou Montauban. Il y a un sujet fondamental de gouvernance régionalisée, qui va dépasser les périmètres administratifs et institutionnels.

Pierre Albert : C’est tout à fait exact, ce n’est pas un problème d’outil, car on les a. C’est un problème de gouvernance.

Arnaud Le Lan : Au Canada, certains espaces urbains, certaines villes y sont abandonnés parce qu’il n’y a plus d’économie. La politique de solidarité territoriale de la France n’existe pas dans d’autres pays plus libéraux. En matière de solutions, il y a trois axes qui permettraient de « revoir le logiciel ». Tout d’abord, la construction de la connaissance : il manque une vision consolidée de la ressource foncière. Deuxièmement, le développement de la culture de l’évaluation est la seule façon de rompre avec l’opportunisme et de tirer les leçons des expériences passées. Enfin, il faut encourager l’ouverture au-delà des frontières administratives, le développement de l’agilité inter-territoriale afin de multiplier les opportunités de rencontre entre offre et demande.

Pierre Albert : Cela pourrait même être le bénéfice collatéral du ZAN ! Cette agilité inter-territoriale est absolument nécessaire, cependant il manque aussi des « briques » à l’intérieur des intercommunalités de toute taille. La question foncière agrègera naturellement d’autres problématiques qui doivent être traitées aux bonnes échelles, et en-dehors des silos, comme les dynamiques économiques et résidentielles évoquées précédemment, mais aussi la ressource en eau. De nouveaux cadres de gouvernance doivent nécessairement apparaître, qui vont avoir de nouveaux besoins en ingénierie territoriale. Nous nous y préparons.