Dossier

Réindustrialiser la France : mission impossible ?

Fort niveau de dépendance, défaut d’approvisionnement : la crise sanitaire a mis en lumière la fragilité du tissu industriel français. Depuis, la relocalisation est sur toutes les lèvres. N'est-ce pas le moment d’inventer l’industrie de demain ?

  • RELOCALISATION
  • TERRITOIRES D’INDUSTRIE

| Le tour de la question

 

La France a un passé industriel glorieux. Loin des images de hauts fourneaux crachotants ou de mines à la « Germinal », aujourd’hui, quand on parle d’industrie française, on pense avant tout performance et innovation. À l’instar de ses fleurons, mondialement connus : Airbus, Renault-Nissan, L’Oréal, Sanofi…   Mais le secteur est bien plus vaste, il faut y ajouter l’agroalimentaire, la métallurgie, la construction, le luxe, etc.

 

Chantal Thomass, notre Grand Témoin du mois, nous partage son expérience dans l'industrie de la mode, faite de hauts... et de bas !

portrait de la créatrice de mode Chantal Thomass

© Jo Zhou


Lire l'interview

 

 

Ce qui définit l’industrie, c’est la production de masse, la réalisation d’économies d’échelle, les gains de productivité et l’application du progrès technique.

source : Conseil d’analyse économique

L’INDUSTRIE FRANÇAISE EN CHIFFRES-CLÉS ILLUSTRÉS (sources : Banque Mondiale et France Industrie 2018) : 10% du PIB national, 870 milliards € de chiffre d’affaires, 235 000 entreprises toutes tailles et tous secteurs confondus, 3,1 millions d’emplois directs

© PackShot

L'INDUSTRIE EST : 

 

productrice de valeur. Elle permet d’exporter des biens, notamment dans l’aéronautique et le luxe, et contribue à rééquilibrer la balance commerciale de la France, largement déficitaire, à près de

 

-59Md €
(source : direction général du Trésor, Ministère de l’Economie et des Finances)

 

bonne pour l’emploi local. L’implantation ou la réimplantation d’une usine crée par ricochet un grand nombre d’emplois annexes à proximité. En maintenant l’industrie, c’est tout une chaîne d’emplois qu’on protège et tout un territoire qu’on dynamise.

 

source d’innovation. La fonction recherche et développement (R&D) développe les applications industrielles et commerciales d’une innovation, rendant le produit plus attractif que celui du concurrent.

 

génératrice d’emplois, souvent qualifiés. Les salaires dans l’industrie sont plus élevés que ceux des autres secteurs, les hausses de salaire profitant majoritairement aux jeunes cadres. 

La désindustrialisation est aux villes moyennes ce que la mécanisation de l’agriculture et l’exode rural furent aux villages.

Olivier Lluansi, ex-responsable du programme Territoire d’industrie

 

 

Un peu d’Histoire : d’où vient la désindustrialisation ?

L’industrie française a été condamnée sur l’autel de la mondialisation. Depuis 1970, le poids de l’industrie dans la richesse nationale a été divisé par deux. En quelques années, à la faveur de délocalisations massives dans les années 80-90, la Chine est devenue « l’atelier du monde ». Des savoir-faire spécifiques ont été perdus définitivement dans des secteurs tels que le textile ou la métallurgie. Et des milliers d’emplois ont disparu. Certains territoires ont été plus touchés que d’autres : les Hauts-de-France ou le Grand Est, par exemple, ont payé le prix fort économiquement et humainement. 

 

© droits réservés / Mémoires d'Humanité - Archives départementales de la Seine-Saint-Denis

 

 

POURQUOI AVOIR SACRIFIÉ L’INDUSTRIE ?

 

La France fait partie des grands pays industrialisés qui ont perdu le plus d’industries durant les dernières décennies, avec le Royaume-Uni. 

L’industrie a longtemps souffert d’un déficit d’image auprès des dirigeants comme des populations. Jusqu’au début des années 2000, l’idée que l’emploi dans les services pouvait remplacer les emplois industriels a prévalu dans beaucoup de pays dits développés. Certains grands patrons industriels français préconisaient même une « France sans usine » (en juin 2001, Serge Tchuruk, alors PDG du numéro 1 mondial de la fibre optique proclame : « Alcatel doit devenir une entreprise sans usines »). Tout est question de choix stratégique… 
Mais pas que : le contexte macro-économique, tels que les chocs pétroliers ou les krachs boursiers, influent sur les capacités de production nationale. À l’heure de la mondialisation acharnée, la concurrence est rude dans tous les secteurs.

 

 

 

 

 

 

Le coût extrêmement bas de la main d’œuvre dans certains pays, asiatiques notamment, a parfois séduit les industriels tricolores qui ont fait le choix de délocaliser pour rester compétitifs face à la concurrence étrangère. Aujourd’hui, l’augmentation du coût du travail en Chine remet en cause ce statut « d’atelier du monde ». Le pays abandonne désormais la production à bas coût pour se lancer dans l’innovation, laissant ce créneau à d’autres « tigres asiatiques » tels que le Vietnam. Depuis le début des années 2000, avec l’ouverture de l’Union Européenne vers l’Est, les pays d’Europe centrale, dont la main d’œuvre coûte peu cher, attirent désormais les emplois délocalisés (grâce entre autres aux frais de douanes et de transport limités). 

Coût du travail horaire en 2016 (sources : China Briefing, Eurostat et Insee)
Au Danemark : 42 €/h
En France : 34,30 €/h
En Bulgarie : 4,40 €/h
En Chine : 2,93 €/h 
moyenne de l’Union Européenne : 25,40 €/h

© Caisse des Dépôts

 

 

 

Ces choix ont abouti à une forte dépendance industrielle de la France. Notre pays présente un taux de dépendance aux importations industrielles très élevé : 35 % pour l’ensemble des biens intermédiaires importés et 24 % pour le secteur industriel, principalement dans l’aéronautique, la chimie et l’automobile (Rapport Trendeo sur les dépendances industrielles mai 2020). 

Cette fragilité, ainsi que la fragmentation extrême des processus de production, ont été particulièrement mises en lumière lors de la crise du Covid-19, avec le risque de pénuries de produits sanitaires de première nécessité tels que masques, respirateurs ou encore certains médicaments. Selon l’Agence européenne du médicament, 80 % des principes actifs pharmaceutiques sont fabriqués en Chine et en Inde, alors que cette proportion n’était que de 20 % il y a 30 ans.

 

 

Crédit © Wang Jianwei/XINHUA-REA

L'Asie fournit aujourd’hui 80 % des principes actifs utilisés par l’industrie pharmaceutique dans l’Union européenne. Une employée d'une entreprise pharmaceutique chinoise située à Harbin manipule de la céfazoline en poudre, le 2 mars 2020.

Et le risque n’est pas uniquement lié aux pandémies : on peut facilement imaginer que des catastrophes climatiques ou de futures tensions géopolitiques viendront perturber les flux logistiques mondialisés.

 

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UNE VOLONTÉ POLITIQUE DE RÉINDUSTRIALISATION

 

 

Bridgestone à Béthune, Schneider Electric près de Montpellier, etc. : si les fermetures d’usines font plus souvent la une de l’actualité que les ouvertures, une centaine d’usines ouvraient chaque année en France entre 2009 et 2019. 

Le regain industriel français est enclenché depuis 2015, date à laquelle l’Etat français a commencé à mettre en place des outils économiques tels que des subventions (Crédit Impôt Recherche, Programme d’investissements d’avenir, etc.) ou des incitations fiscales (baisse du coût du travail). Cette démarche de réindustrialisation s’inscrit sur le long terme. La nécessité de retrouver une souveraineté industrielle est réapparue il y a une dizaine d’années en France, en même temps que les tensions commerciales entre grandes puissances (Chine/Etats-Unis notamment).

Depuis le début de la crise sanitaire, faire revenir l’industrie sur le territoire national est devenu une priorité du gouvernement. L’idée fait désormais consensus, mais le mouvement entamé prendra du temps.

 

 

Emmanuel Macron visite la PME Kolmi-Hopen qui fabrique des masques chirurgicaux à Saint-Barthélemy-d'Anjou (Maine-et-Loire), le 31 mars 2020

Crédit © Soazig de la Moissonniere / Présidence de la République

Emmanuel Macron visite la PME Kolmi-Hopen à Saint-Barthélemy-d'Anjou (Maine-et-Loire), le 31 mars 2020

 

 

Il nous faut produire davantage en France. (…) Produire plus sur le sol national pour réduire notre dépendance et donc nous équiper dans la durée.

Emmanuel Macron

 

 

La France dispose d’atouts importants pour que sa réindustrialisation soit un succès : elle est au carrefour de l’Europe, dispose d’infrastructures de qualité ainsi que d’un haut potentiel d’innovation. Pour réindustrialiser rapidement, le plus facile est de faire monter en puissance des filières existantes. Mais l’Etat doit bien choisir les secteurs qu’il soutient car rien ne sert de se lancer dans des productions pour lesquels nous avons pris trop de retard (comme les composants électroniques, par exemple). Les solutions pour faire (re)venir l’industrie se trouvent avant tout dans l’innovation et dans l’écologie.

Le volet industriel du plan de relance est doté de 35 Md € pour 2020-2022, auxquels viennent s’ajouter 1 Md € d'aides directes destinées à soutenir des projets industriels ambitieux. La baisse annoncée des impôts de production en 2021 va également permettre de réduire la pression fiscale sur les entreprises et soutenir l’activité et la compétitivité des industries.

 

Cocorico ! La France est championne d’Europe de l’attractivité industrielle.

Selon la seconde édition du baromètre du cabinet EY publié début 2020, la France devance la Turquie, l'Allemagne et le Royaume-Uni en terme d’attractivité industrielle pour les investisseurs étrangers. Si les plans d’investissement risquent d’être revus à la baisse en raison de la crise sanitaire, le cabinet de conseil note que les deux tiers des projets de 2019 ont déjà été réalisés ou sont en cours de mise en œuvre.

 

| Le grand témoin : Chantal Thomass

 

Soyons optimistes !

Notre pays est un vivier de talents créatifs.

 

Son nom est indéniablement associé à la mode, il est même devenu une marque. Figure emblématique de la lingerie haut de gamme, Chantal Thomass gravite dans l'industrie de la mode française depuis plus de 40 ans.

 

LIRE L'INTERVIEW

 

 

| En action !

 

 

Dans sa mission d’accompagnement de la relance de l’économie française, la Caisse des Dépôts soutient la reconquête industrielle. A travers la Banque des Territoires, le Groupe prévoit plus d’un milliard d’euros pour la relocalisation et l’aménagement industriel (800 M€ en fonds propres et 250 M€ en prêts sur fonds d’épargne) via le programme national Territoires d’industrie.

 

COMMENT RÉINDUSTRIALISER ? 

 

L'objectif du programme national Territoires d’industrie, lancé en 2018, est d’accompagner les initiatives locales sur des territoires déjà dynamiques mais aussi de faire renaître des zones ayant connu une économie industrielle forte. Sous la direction du conseil régional, un tandem constitué d’un élu local et d’un chef d’entreprise, qui connaissent parfaitement l'écosystème local et ses problématiques, est chargé de sélectionner des projets locaux (attractivité, transformation d’une friche industrielle, simplification administrative…). Pour une répartition équitable sur tout le territoire, la Banque des Territoires soutient deux projets de développement industriel par région. Il existe à ce jour 148 Territoires d’industries. 

 

Zoom sur... Lactips

 

Lutter contre la pollution plastique des océans tout en revitalisant un ancien site industriel : qui dit mieux ? C’est le pari de Lactips, située près de Saint-Etienne (Région Auvergne-Rhône-Alpes). Grâce à sa solution innovante d'emballage soluble 100 % biodégradable en milieu marin, le produit séduit de plus en plus les investisseurs, notamment la Banque des Territoires et Bpifrance, qui soutiennent Lactips via le programme national Territoires d’industrie. 

 

 

CRÉER LES CONDITIONS DE LA RÉINDUSTRIALISATION

 

Plus qu’une réindustrialisation à tout-va, il s’agit de favoriser l’implantation ou à la réimplantation en France de certains maillons de la chaîne de production qui ont disparu. 

Pour créer les conditions du retour de l’industrie, le groupe Caisse des Dépôts met tout en œuvre pour améliorer l’attractivité d’un territoire, par exemple en créant avec Egis une desserte de transports en commun, ou en assurant un raccordement au très haut débit grâce aux prêts de la Banque des Territoires. Forte de son ancrage local, celle-ci accompagne les collectivités sur des problématiques précises : gestion de l’immobilier industriel, reconversion des friches, formation et adaptation des compétences aux industries de demain, transition écologique (production d’énergie renouvelable, solutions de transport de marchandises éco-responsables), développement de services logistiques et numériques ou encore tourisme patrimonial industriel. 

logo de Lyon vallée de la Chimie

 

Lyon vallée de la Chimie, lauréate de l’appel à manifestation d’intérêt général « Territoires d'innovation de grande ambition » (TIGA) du Programme d'investissements d'avenir (géré par la Caisse des Dépôts), fait notamment partie de ces sites qui ont vocation à devenir les vitrines de la réimplantation d'activités industrielles et vont faire l'objet d'un accompagnement prioritaire de l'État. L’objectif : raccourcir les délais d'implantation et attirer de nouveaux investissements dans les activités innovantes des filières chimie, énergie et environnement.

 

 

© Thomas GOGNY

Un technicien réalise des travaux pour installer le très haut débit à Annecy.

 

 

En résumé, il faut transformer les territoires qui le souhaitent en destinations prêtes à l’emploi. Pour y parvenir, le volet formation ne doit pas être négligé. Il faut redonner de l’attractivité aux métiers, et ainsi changer l’image de l’industrie. 

 

 

 

 

 

LES FREINS À LA RÉINDUSTRIALISATION

Les grandes métropoles ne veulent plus d’usines.

Olivier Sichel, directeur adjoint de la Caisse des Dépôts, le 1er novembre 2020

Faire revenir une usine en France est souvent plus facile à dire qu’à faire : si les emplois sont toujours les bienvenus, les projets de créations d’usines et autres sites industriels conduisent souvent à des levées de bouclier de la part des riverains ou des associations écologistes. Même si on est désormais loin des usines de types tayloristes comme au début du XIXe siècle, l’idée de risque industriel et de nuisances, notamment sonores et olfactives, reste bien présente dans la tête des Français.  

 

 

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