Le 6ème rapport du GIEC[1] l’a confirmé de manière formelle : si nous voulons sécuriser la santé humaine en limitant les effets du dérèglement climatique, nous devons agir dès maintenant et simultanément sur les activités humaines, la biodiversité (en particulier eau, forêts, zones humides, continuités écologiques) et réduire drastiquement nos émissions carbones, tout en prenant en compte la santé animale. Or les modèles actuels de gestion territoriale restent principalement anthropocentrés et n’intègrent qu’à la marge la prise en compte des enjeux de santé (humaine et animale), au détriment d’une vision plus holistique.

De nombreuses décisions politiques et budgétaires récentes illustrent ce déficit de compréhension des vulnérabilités liées au dérèglement climatique, privilégiant souvent des intérêts courtermistes au détriment de l'intérêt général. Il devient urgent d'éclairer les choix par une méthodologie adaptée pour transformer ces vulnérabilités en résilience climatique grâce à l'approche de Santé Globale, en mettant en place progressivement les bonnes clés pour agir.

Des indicateurs alarmants qui appellent à l’action

Malgré les progrès considérables de la médecine moderne et du développement humain de nos sociétés, lesquels ont permis des progrès en qualité de vie que nous n’aurions probablement pas osé espérer il y a 150 ans, plusieurs signaux d'alerte nous interpellent :

  • L'espérance de vie en Europe stagne ou recule légèrement[2]. Plus précisément, l'espérance de vie en bonne santé recule en France sur l’ensemble de la population, et ce d’autant plus rapidement que le reste à vivre est important. En d’autres termes, plus vous êtes jeunes, moins vous aurez de chance de vivre longtemps en bonne santé,
  • selon l'OMS, 11% de la population mondiale souffre de malnutrition[3] alors que 43% est en surpoids ou obèse, et ceci alors même qu'un tiers de la nourriture produite mondialement, soit 1,3 milliard de tonnes, est jeté sans avoir été consommé[4]. Le tout, avec des systèmes agricoles mondialisés générant une empreinte énergétique importante pour supporter emballage, transport et transformation et une pression très forte sur la biodiversité, les sols et l’eau,
  • enfin,  depuis 1950 en France, les surfaces agricoles par habitant ont été divisées par deux du fait de la démographie et de l'étalement urbain. Leur valeur actuelle, 4200 m2, nous permet de satisfaire le régime alimentaire moyen des habitants y compris sur les habitudes actuelles et en particulier via des techniques d’agriculture régénérative, mais il nous faut renaturaliser nos sols en commençant par les désimperméabiliser, les dépolluer et les revitaliser.

La Santé Globale comme cadre d'action

Le défi est immense, le besoin de transversalité également, et une approche One Health, traduit en français par Santé Globale, mise en place concrètement sur des territoires ou à l’échelle d’organisations permet d’enclencher dès maintenant une trajectoire de réponse fédératrice, concrète et effective.

Comment agir ? Il s’agit de mettre en place, 5 attitudes complémentaires qui permettent de s’adapter, d’atténuer et de développer la résilience au lieu de subir : l’anticipation, la coopération, la transversalité, l’éducation et la responsabilisation. Ces attitudes reviennent dans toute l’articulation des différentes propositions qui seront effectuées par la suite.

En deux mots, il s’agit de reprendre la main, et de faire terre ensemble[5].

L'approche One Health, ou Santé Globale, repose sur un principe fondamental : la santé humaine, la santé animale et la santé des écosystèmes sont intimement liées et doivent être abordées conjointement. Ce cadre conceptuel s'est imposé comme essentiel pour faire face aux défis sanitaires contemporains : émergence de maladies infectieuses, résistance aux antibiotiques et impacts environnementaux sur la santé.

En 2004, l’Organisation mondiale de la santé (OMS)[6], l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture  (FAO) et l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE, devenue OMSA)[7]  ont officiellement appelé à la mise en œuvre internationale de  One Health. Le Groupe d'experts de haut niveau One Health (One Health High-Level Expert Panel ou  OHHLEP) a été créé en mai 2021 afin de définir, animer, et faire adopter largement ce concept. En 2017, le Conseil de l’UE a adopté une stratégie européenne One Health pour encadrer l’usage des antibiotiques et réduire les risques de résistances. Depuis 2021, les politiques européennes sont désormais structurées autour de cette approche, non seulement en termes de santé, mais également pour l’eau, l’alimentation, l’économie circulaire et les déchets, la biodiversité et la résilience territoriale.

Une dynamique territoriale en marche

Au niveau des politiques territoriales, un réseau européen s’est créé autour des villes européennes en Santé Globale : One Health 4 Cities network[8]. Ce réseau européen de planification d’actions autour du concept One Health accélère la prise en compte intégrée des enjeux de santé humaine, animale et environnementale. Le réseau comprend notamment l’Eurométropole de Strasbourg, la Ville de Lyon (pilote du projet), mais également les villes de Kuopio et Lathi (Finlande), Suceava (Roumanie), Loulé (Portugal), Munich (Allemagne),  Benissa (Espagne), Elefsina (Grèce).

Les institutions scientifiques ont également contribué à poser et relayer ce cadre, notamment dans la continuité des Objectifs de Développement Durable et des Limites Planétaires. En France, l’INRAE et le CIRAD ont publié en 2021 le rapport « Une seule santé : l’interdépendance des santés humaine, animale et des écosystèmes »[9].

Ainsi, One Health devient aujourd’hui un cadre de référence pour mieux gérer les risques sanitaires et environnementaux, expliquer l’articulation des politiques publiques et des investissements.

Comment agir concrètement ?

Dans le cadre de sa méthodologie des vulnérabilités à la résilience, Green Cross en recommande une articulation comme suit.

L’approche fournit un cadre d’analyse où nous pouvons à la fois mieux suivre, anticiper et prévenir des tendances holistiques et encore peu comprises, tel le développement soudain des cancers des moins de 50 ans[10]. Rappelons quelques indicateurs parlants :

  • 40 000 décès anticipés en France sont dus à une mauvaise qualité de l’air ;
  • une étude, publiée dans le British medical journal (BMJ) en 2023, fait état d'une augmentation de 79% du nombre de cancers chez les jeunes adultes depuis 30 ans, et les causes environnementales sont le plus souvent pressenties ou avérées dans ces pathologies.
  • Selon la Fédération Française de Cardiologie, 50% des 6,7 millions de décès estimés attribuables à la pollution de l’air en 2019 sont dus aux maladies cardiovasculaires[11]. La pollution de l’air serait classée comme le 4e facteur de risque de mortalité, avec plus de décès attribuables que l’hypercholestérolémie, l’obésité, la sédentarité ou la consommation d’alcool.

L’approche de santé globale s’inscrit particulièrement bien dans les objectifs d’adaptation et d’atténuation déjà mis en place au niveau territorial. Les limites planétaires[12] permettent de rappeler par consensus scientifique et analyse territoriale les seuils que l’humanité ne devrait pas dépasser pour ne pas compromettre la santé, ainsi que les planchers sociaux permettant de conserver ensemble une planète vivable, c’est-à-dire permettant la survie de l’humanité en évitant les modifications brutales et difficilement prévisibles de l’environnement planétaire. De même, les enjeux climatiques et environnementaux en lien avec la santé humaine individuelle, la vivabilité des communautés humaines et leur bien-être ont fait l’objet d’un chapitre spécifique (le 7ème) dans le 6ème rapport du GIEC, accessible en ligne[13]. Les notions de pollution, d’écotoxicité, de compromis bénéfice-risque, ainsi que les besoins d’une approche collective et de modélisations économiques et sociétales sont transverses à l’ensemble du concept de Santé Globale, c’est pourquoi elles ne sont spécifiquement reproduites dans aucune des sections en particulier.

Ainsi, nous avons avec l’approche en Santé Globale un outil territorial et de transformation des organisations particulièrement efficace, notamment dans une logique d’austérité budgétaire, pour planifier, coconstruire et mettre en place des plans d’action concrets, orientés sur la santé au quotidien, la résilience et la qualité de vie, et permettant d’anticiper et de coconstruire la résilience territoriale dans l’enthousiasme de l’action plutôt que de subir les effets d’une absence d’anticipation, de mauvaise priorisation et de culture du risque. Emparons-nous de cette méthode, et déployons-là le plus rapidement possible.

Pour aller plus loin :



 

Dans son ouvrage Repanser la planète (https://gcft.fr/re-panser-la-planete-le-2nd-ouvrage-de-nicolas-imbert-sortira-f…éditions CHUM, 172 pages, ISBN ‎978-2492973192), Nicolas Imbert présente les retours d’expérience de la mise en place d’approches en santé globale, notamment sur les enjeux de résilience territoriale, d’alimentation, d’eau, et d’évolution des modes de vie.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Notes

[1] Disponible sur le site http://www.ipcc.ch, le rapport est également complété par un atlas interactif https://interactive-atlas.ipcc.ch/ qui permet d’identifier les enjeux par région et par activité

[5] Faire Terre Ensemble est aussi le nom de la collection initiée par mon deuxième ouvrage « Repanser la planète », aux éditions CHUM (172 pages, ISBN 9782492973192)