cicéron
c'est poincarré
Crédit ©ODIN Daniel / AdobeStock
Alors que les élus se sentent souvent démunis face au départ du dernier médecin et que la question des inégalités territoriales de l’accès au soin fait l’actualité depuis quelques semaines, la santé est au cœur des préoccupations des citoyens et de leurs élus. Elle pourrait d’ailleurs se tailler une place dans les élections municipales à venir tant cet enjeu entre en résonnance avec une impression de déclassement et de territoires à deux vitesses.
Au cours des 20 dernières années[1], l’espérance de vie a continué à grimper +1,9 années pour les femmes pour une espérance de vie moyenne de 85,7 ans et +3,3 années pour les hommes permettant d’atteindre une espérance de vie moyenne de 80 ans. En parallèle, l’espérance de vie en bonne santé entre 2004 et 2024 a stagné pour les femmes à 64,2 ans et reculé de 0,9 ans pour les hommes pour atteindre 62,8 ans.
Face à cette réalité troublante, nous devons nous interroger : comment expliquer ce paradoxe à l'heure où la médecine réalise des avancées spectaculaires ? Est-ce la seule question de l’accès aux soins qui doit être traitée ? La question des déserts médicaux ne constitue-t-elle pas simplement l'arbre qui cache la forêt des déterminants de santé ?
Aborder la santé uniquement sous l'angle de l'accès aux soins revient à observer une réalité complexe par le trou d'une serrure.
Notre état de santé est en effet déterminé à
Un constat éloquent illustre ce déséquilibre : marcher 150 minutes par semaine - soit moins de 30 minutes par jour - permettrait d’économiser jusqu’à 135 milliards d’euros, équivalent au coût annuel de la sédentarité en France (60 à 70 % du budget santé). Or, selon l’Anses, 95 % des Français ne maintiennent pas une activité physique suffisante pour préserver leur santé.
Cette dimension préventive reste trop souvent négligée par les décideurs, dans un pays où la culture curative prédomine encore sur celle de la prévention, dont les bénéfices ne se manifestent qu’à long terme — souvent au-delà d’un mandat électoral. Pourtant, favoriser l’activité physique passe aussi par un environnement urbain adapté et incitatif.
Malgré des initiatives coûteuses, les leviers dont ils disposent pour créer les conditions d'un mieux-vivre en bonne santé.
Face à l'impuissance relative des élus à attirer ou maintenir des médecins sur leur territoire, malgré des initiatives coûteuses déployées par un certain nombre de communes ou d’intercommunalités, il devient impératif de mobiliser les leviers à leur disposition pour créer les conditions d’un mieux vivre en bonne santé.
Comprendre que chaque projet ou tout aménagement peut avoir un impact positif ou négatif sur la santé permet de construire une nouvelle grille de lecture et d’arbitrage pour élaborer son projet de territoire ou son aménagement d’espace public. L’enjeu consiste à penser le territoire sous le prisme d’un urbanisme favorable à la santé(UFS).
Ce changement de paradigme s’inscrit dans une logique naturelle pour les pouvoirs publics. En effet, qui s’engage en politique si ce n’est pour améliorer les conditions de vie de ses concitoyens ?
La concrétisation de cette vision passe par trois étapes essentielles :
Première étape : conscientiser que la santé ne se résume pas aux soins, c’est aussi aménager autrement. Un travail de pédagogie auprès des élus s’avère nécessaire pour que l’urbanisme favorable à la santé ne soit pas qu’un levier opportun de financements via l’ARS, mais comme un pilier fondamental des politiques territoriales et d’aménagement. L’anecdote d’une commune convaincue qu’un PLU, en ne traitant que du droit au sol, ne pouvait avoir d’impact sur la santé, révèle à quel point le lien entre urbanisme et santé reste à construire, alors que l’enjeu est de taille.
Deuxième étape : valoriser les initiatives déjà déployées, parfois inconsciemment, par les élus et leurs services. La végétalisation urbaine, le développement des pistes cyclables, le déploiement de zones à faibles émissions (ZFE), la rénovation thermique des écoles ou le déploiement d’un projet alimentaire territorial (PAT) sont portés par un certain nombre de collectivités et contribuent déjà à améliorer la santé publique . L’objectif n’est pas juste de se satisfaire de l’existant, mais de faire de la santé un levier pour renforcer l’acceptabilité des projets et un critère d’évaluation des politiques publiques au vu de l’impact financier de l’espérance de vie en mauvaise santé.
Troisième étape : concevoir des projets de territoire plaçant la santé au cœur des politiques publiques, devenant de fait un élément d’arbitrage au même titre que l’impact budgétaire. Au-delà des enjeux d’inclusion et d’intergénérationnalité dans l’aménagement, cette approche permet d’approfondir et de croiser les analyses territoriales, ouvrant de nouveaux champs de débat et de réflexion collective.
À l'heure où les documents de planification sont révisés pour intégrer les enjeux climatiques et alors que les projets de territoire seront redéfinis après les prochaines élections municipales, l'urbanisme favorable à la santé doit s'imposer comme un axe stratégique incontournable.
La santé n'est plus l'affaire exclusive des professionnels médicaux. Elle constitue désormais une responsabilité partagée, où l'urbaniste, l'architecte et l'élu local jouent un rôle aussi déterminant que celui du médecin. En définitive, la meilleure ordonnance pour la santé publique pourrait bien être rédigée sur un plan d'urbanisme plutôt que sur un carnet de prescription.
Les projets que nous accompagnons nous montrent, que l’engagement de travaux sous le prisme de l’urbanisme favorable à la santé (UFS) joue un rôle fédérateur auprès des communes et des acteurs et facilite grandement l’adhésion autour du projet.
Faire de nos villes des espaces thérapeutiques, c'est investir dans un capital santé collectif dont les dividendes se mesureront en années de vie gagnées en bonne santé, en cohésion sociale renforcée et en économies substantielles pour notre système de protection sociale. La ville qui soigne n'est pas un concept utopique, mais un horizon concret que chaque territoire peut désormais viser.
[1]Période 2004-2024 – source Insee