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Face à l'accélération du changement climatique et à la multiplication des événements hydrométéorologiques extrêmes, la France entre dans une nouvelle ère où la gestion de l'eau devient un enjeu stratégique majeur pour l'aménagement du territoire.
Après la sécheresse de 2022, particulièrement marquante par son intensité et son impact, les événements exceptionnels se succèdent, obligeant les territoires à faire face à un nouveau régime climatique. Les 17 000 hectares ravagés par les flammes dans l’Aude en sont la triste illustration. En quelques années, la situation hydrique de la France a basculé. Ce qui relevait autrefois d’événements conjoncturels est désormais structurel. Le manque d’eau fragilise des secteurs entiers de l’économie, obère les projets d’aménagement et alimente des tensions sociales de plus en plus prégnantes. Les territoires ont maintenant compris qu’ils devaient composer avec ces incertitudes et leurs conséquences socio-économiques majeures : perte alimentaire, baisse de rendement de l’hydroélectricité́, arrêts des centrales nucléaires, impact sur l’industrie, etc. Les conflits d’usages, maintenant visibles, obligent à inventer une nouvelle gouvernance. Malgré un cadre juridique complexe et parfois obscur, les acteurs locaux se mobilisent et mettent en œuvre de nouvelles approches conciliant eau et aménagement.
Les acteurs publics locaux ont pris conscience que les politiques d’aménagement ont un impact direct sur la ressource en eau. Ce constat impose de concilier les politiques de l’eau et de l’aménagement. Or, il n’existe pas de cadre contraignant imposant aux documents de planification d’inclure une stratégie de gestion intégrée de l’eau. De plus, cette articulation nécessaire se heurte à une complexité structurelle. En effet, les périmètres de gouvernance ne coïncident pas, générant un millefeuille d’acteurs (communes, syndicats, agences de l’eau, EPCI, État, associations, usagers). Leurs compétences sont souvent morcelées et leurs responsabilités peu claires, intervenant de manière cloisonnée sur l’ensemble du cycle de l’eau (adduction, assainissement, inondation, irrigation, milieux naturels). Cette situation rend difficile la construction d’une gouvernance claire et partagée de la gestion de l’eau.
Les schémas d’organisation des compétences locales de l’eau (SOCLE) constituent un outil intéressant pour aider les territoires à clarifier le « qui fait quoi ? » et le « qui doit faire quoi ? » du petit au grand cycle de l’eau. S’ils offrent la possibilité d’ouvrir un espace d’échange pour redéfinir les compétences et identifier les vides juridiques, il se heurte néanmoins à un cadre juridique peu clair. Le sénat vient, d’ailleurs, de publier son rapport « Pour l'efficacité de la GEMAPI : des territoires solidaires » pointant un cadre juridique inabouti et insuffisamment adapté aux réalités territoriales.
La crise de l’eau n’est plus circonscrite au Sud-Est ou au département des Pyrénées Orientales. De nombreux territoires se sont retrouvés confrontés à un manque ou un excès d’eau affectant directement la viabilité de leur territoire (Pas de Calais en janvier 2024, Vallée du Rhône en octobre 2024, sécheresse des massifs forestiers et feux de forêt en 2022 et 2025…). En choisissant d’agir plutôt que de subir, les territoires ont inventé une nouvelle gouvernance entre les acteurs de l’eau et de l’aménagement. Ils ont créé des instances de travail pour rapprocher les acteurs de l’eau et de l’urbanisme et construire une stratégie commune.
Ces initiatives ont pu émerger grâce à un portage politique fort et un engagement effectif de l’ensemble des acteurs. Le PETR du Grand Libournais, confronté un manque d’eau potable critique a, par exemple, lancé les Assises de l’eau, une démarche coconstruite avec les syndicats et l’ensemble des acteurs du grand cycle de l’eau. Après le partage des problématiques de chacun, le travail collaboratif a permis de construire une feuille de route commune, assortie d’un plan d’action intégré dans le SCOT.
La communauté de communes des Portes Euréliennes, confrontée à un excès d’eau lié à de fortes problématiques de ruissellement, a été particulièrement impacté en octobre 2024. Depuis, elle a placé l’intégration de cette problématique au cœur des documents de planification (notamment le SCoT) et de ses politiques publiques. Ces initiatives nombreuses et nécessaires, démontrent la mobilisation des territoires et de leurs exécutifs malgré un cadre juridique flou.
Parmi les nombreux freins souvent pointés figure la difficulté́ à accéder à une donnée consolidée et disponible à l’échelle d’un territoire. Récemment, de nombreux acteurs se sont saisis du sujet pour tenter de mieux centraliser la donnée et proposer des outils pratiques afin d’aider les acteurs à traduire les enjeux de l’eau dans la planification. On peut citer la base de données Aqua Repère qui regroupe de nombreuses sources. Également, la Mission régionale de l’autorité environnementale propose des fiches techniques facilitant l’intégration de l’eau dans la planification. De nombreux SRADDET déploient eux aussi des guides facilitant la prise en compte de l’eau.
Les initiatives territoriales analysées révèlent à la fois la capacité d'innovation des acteurs locaux et l'inadéquation du cadre institutionnel actuel. Ces initiatives montrent la voie mais ne suffiront pas à relever les défis posés par les tensions croissantes sur la ressource en eau. Une évolution réglementaire imposant « une stratégie intégrée de l’eau » dans les SCOT est désormais urgente.
Mais cette évolution réglementaire doit s'accompagner d'une refonte plus large des périmètres d'action et des modes de coopération territoriale. La cohérence hydrographique doit désormais primer sur les découpages administratifs traditionnels, imposant une approche multi-usages et une solidarité territoriale renouvelée : impacts cumulés des rejets, relations qualité – quantité, fonctions multiples des milieux naturels, relations amont et aval, urbain et rural, usagers économiques et domestiques, etc.
Cette transformation soulève des questions fondamentales qui engagent l'avenir de nos territoires.
Le temps de l'action coordonnée est venu.