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Crédit © Vanessa / AdbobeStock
La France connaît un vieillissement démographique croissant entraînant une hausse de la dépendance des seniors. Pour y faire face, des structures collectives (EHPAD et autres établissements) ont été créées, mais elles sont aujourd’hui confrontées à des difficultés financières, logistiques, accentuées par des inégalités territoriales (figure 1) et à un déficit de confiance. Le « Virage Domiciliaire » illustre la volonté grandissante des personnes âgées de rester chez elles pour un meilleur bien-être mais elles y sont souvent contraintes par des moyens limités et l’accès restreint aux établissements. Réussir une telle transition nécessite une approche systémique, intégrant les dimensions économiques, sociales, technologiques et réglementaires.
Figure1. Répartition communale de l’offre en établissements et à domicile par accessibilité géographique
Le Virage Domiciliaire n’étant viable que pour les personnes dépendantes classées en GIR (Groupe Iso-Ressources) 6 à 4, les personnes en GIR 1 et 2 n’ont a priori comme solution que l’EHPAD. Souffrant de précarités salariale et sociale, le secteur est en crise d’attractivité ; ce qui conduit à une pénurie de personnel, tant en institution qu’à domicile. En 2030, environ 300.000 personnes pourraient rester à domicile au lieu d’aller en EHPAD ou en Résidence Autonomie. On aura donc besoin d’environ 300.000 aides à domicile supplémentaires. La revalorisation de ces métiers est donc vitale, via des campagnes de promotion des métiers du grand âge auprès des jeunes, l’instauration d’une grille salariale plus attractive et le renforcement du cadre juridique des aides à domicile (loi du 8 avril 2024). Le rapport El Khomri (2019) préconise ainsi une revalorisation salariale d’au minimum 20%, une réduction des charges horaires excessives, la dotation d’équipements adaptés (véhicules propres pour les professionnels itinérants) ainsi qu’un encadrement psychologique et dispositifs anti-burn‑out.
L’adaptation du domicile est essentielle pour garantir la sécurité et l’autonomie des seniors. Elle facilitera aussi le travail des proches aidants et des professionnels de l’aide et de la santé. Cependant, l’adaptation reste assez coûteuse pour les particuliers. Adapter un logement de 75m² peut coûter entre les 6 000 et les 9 000 euros, un coût pouvant facilement atteindre les 20 000 euros pour les personnes âgées les plus dépendantes. De tels coûts sont presque divisés par deux pour les bailleurs sociaux en adaptations collectives ; ces coûts se situent moyenne entre 5 000 et 6 000 euros par logement mais ils peuvent atteindre les 10 000 euros pour les personnes les plus dépendantes.
La mise en place depuis janvier 2024 d’aides financières unifiées, telles MaPrimeAdapt, a simplifié et renforcé les dispositifs de subventions, encourageant les travaux préventifs et d’adaptation (barres d’appui, douches à l’italienne, monte‑escaliers). Cependant, les coûts d’adaptation demeurent assez chers pour les particuliers, contrairement aux bailleurs sociaux qui ont accès à des dispositifs financiers et des subventions leur permettant de réduire leurs coûts. Face à un tel phénomène, l’élargissement de la couverture de MaPrimeAdapt et la construction de nouveaux logements sociaux sont une nécessité.
La France compte plus de 11 millions de proches aidants. Ces derniers constituent un pilier essentiel du maintien à domicile, mais leur engagement s’accompagne de stress chronique, d’épuisement et de précarités économique et sociale, particulièrement chez les femmes formant 57 % des aidants. Le fait de se déclarer comme aidant auprès de son employeur vous confronte à un dilemme : choisir entre l’assistance de votre proche parent ou votre carrière ! L’élargissement du cadre juridique régissant le statut des aidants est donc une nécessité afin de garantir leurs droits spécifiques (congés pour aidants, protection sociale, indemnisation des périodes de répit). La création de dispositifs de répit ainsi que des formations dédiées à la gestion des soins, la prévention des burn‑out et le maintien leur employabilité est cruciale.
Figure 2. Répartition de la population des aidants et aidés selon le sexe
La domotique et l’IA offrent des outils puissants pour renforcer la sécurité, l’autonomie et la socialisation des seniors à domicile, mais leur adoption doit surmonter plusieurs obstacles. Avec les systèmes de sécurité intelligents tels que les capteurs de chute, les détecteurs de mouvement, les alarmes connectées et les moniteurs de santé en temps réel, une intervention rapide et efficace devient tout à fait possible en cas de besoin. D’autant plus que l’automatisation des gestes du quotidien grâce aux volets et éclairages automatisés, thermostats intelligents, WC et douches assistés, réduisent les efforts physiques et les risques d’accident. Les nouvelles technologies peuvent aussi limiter l’isolement des seniors à l’aide d’applications et de tablettes simplifiées adaptées aux limitations sensorielles et cognitives, rendant plus simple le contact à distance avec les membres de la famille. Cependant l’utilisation de ces outils se doit d’être encadrée afin de garantir la transparence des procédés de traitements de données médicales et comportementales. Leur conformité au RGPD doit donc offrir aux seniors la possibilité de donner leur consentement éclairé et de sécuriser les échanges.
Réussir le Virage Domiciliaire nécessite de repenser plusieurs leviers complémentaires. Les métiers du soin et de l’accompagnement doivent être valorisés en améliorant les infrastructures, les conditions de travail et les salaires et en développant l’accès aux formations adaptées aux situations de crise. L’accès aux subventions d’adaptation de l’habitat doit être repensé grâce à des aides unifiées plus importantes. Parallèlement, les aidants familiaux doivent bénéficier d’un soutien renforcé, avec une reconnaissance juridique, des dispositifs de répit et une aide financière ciblée. Enfin, la domotique doit se développer de manière maîtrisée, en alliant innovation, accessibilité et respect de la vie privée. C’est seulement en combinant ces dimensions médicale, sociale, économique et technologique que l’on assurera le bien‑être des personnes âgées tout en préservant la soutenabilité du système.
Kilani.R, (2024), « Les différents visages de l’aidance quelle(s) aidance(s) pour quel(s) impact(s) ? » - Chaire TDTE.