Alors que l’Europe connaît une vague de froid sans précédent en ce début 2024, que le Pas-de-Calais est de nouveau confronté à des inondations, les manifestations du dérèglement climatique et leur fréquence ne cessent de se multiplier au point de faire aujourd’hui partie intégrante de notre quotidien. 2023 restera d’ailleurs dans les annales climatiques à plus d’un titre.

Tout d’abord comme l’année « la plus chaude jamais enregistrée dans l’histoire » sur la planète d’après les données du programme européen Copernicus[1]. Ensuite comme la deuxième année la plus chaude enregistrée en France dans la continuité de 2022, d’après Météo France[2]. Enfin, parce qu’elle se concluait le 13 décembre par l’engagement historique – même si en demi-teinte au regard des enjeux colossaux auxquels nous faisons face – de la communauté internationale pour « opérer une transition en dehors des énergies fossiles » à l’issue de la COP28 à Dubaï[3]. Face à cette « bombe à retardement climatique »[4] comme le qualifiait le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), le dérèglement climatique et ses effets constituent l’une des préoccupations les plus importantes pour les populations. Mais cette préoccupation climatique revêt une ambivalence entre prise de conscience, volonté d’action et inquiétude quant aux effets économiques et sociaux qu’une transition impliquerait dans l’état d’esprit de l’opinion publique européenne, comme nous le montrons dans la sixième édition de l’enquête de la Banque européenne d’investissement (BEI) réalisée par BVA Xsight en partenariat avec la Fondation Jean-Jaurès[5].

La montée de la préoccupation climatique : des Européens inquiets des effets du dérèglement climatique

Réalisée dans 35 pays, qui représentent à eux seuls les deux tiers des émissions mondiales de GES, cette enquête conforte les résultats des éditions précédentes et souligne combien la préoccupation climatique est croissante auprès des opinions publiques au fil des années.

Le climat arrive ainsi en seconde position des principales préoccupations auxquelles les Européens sont confrontés avec 39%, les catastrophes naturelles et vagues de chaleur à répétition tout comme les conséquences de la crise énergétique depuis la guerre en Ukraine menée par la Russie en février 2022, pouvant expliquer ce résultat. Loin devant, l’augmentation du coût de la vie est en haut du podium à la première place des préoccupations des Européens (68%). Les inégalités de revenus (28%) occupent enfin la troisième place, fermant le trio de tête.

Ainsi, comme l’explique Neil Makaroff, directeur de Strategic Perspectives et expert associé à la Fondation Jean-Jaurès, « la pandémie de Covid-19, la crise énergétique, la situation géopolitique ou encore l’inflation n’ont pas relégué le climat au bas des priorités des Européens »[6]. En France, l’urgence climatique est même ressentie de manière plus importante que la moyenne européenne : le changement climatique est considéré comme un des défis majeurs à relever pour 45% des Français (c’est 6 points de plus qu’au niveau des 27 États membres) ; de même la dégradation de l’environnement est perçue comme un enjeu crucial pour 28% des Français, (6 points de plus que sur l’ensemble du Vieux continent). 

Un consensus dans l’opinion publique européenne : transition écologique et justice sociale doivent aller de pair

Près de sept Européens sur dix (68%) interrogés dans l’enquête estiment que la transition vers une économie sobre en carbone ne peut se faire que si l’on s’attaque en même temps aux inégalités. Pour les Européens, la difficile équation pour obtenir une transition écologique juste et réussie réside dans la mise en œuvre de mesures fiscales progressives et le soutien financier pour permettre aux ménages de supporter le coût de cette transition vers une économie décarbonée. C’est cet équilibre en faveur d’une justice climatique qui est plébiscité par l’ensemble des Européens, entre taxation auprès des personnes responsables des émissions de GES et appui auprès des citoyens qui pourraient être fragilisés. Une large majorité d’entre eux (75%), conscients des inégalités face au dérèglement climatique, souhaite en effet que les entreprises ou personnes responsables des émissions de GES soient davantage taxées. 74% sont également favorables à la fin des subventions et allègements fiscaux pour les entreprises qui ont recours aux combustibles fossiles et au transport aérien, ce qui permettrait alors le financement des énergies renouvelables. Enfin, 68% des citoyens européens estiment qu’une taxe sur les émissions carbone qui rendraient les carburants ou le gaz plus chers pour les personnes aisées devrait être mise en place.

Néanmoins, la transition écologique ne peut se faire sans un soutien important des États auprès des populations pour amortir le coût de celle-ci : 64% des Européens déclarent avoir besoin d’un soutien financier pour faire face à cette transition qui modifie nos modes de consommation, de mobilité et de vie. Ces derniers sont cependant les plus sceptiques du panel (38% contre 57% des Américains, 50% des Canadiens ou encore 42% des Britanniques) sur la capacité des États à mettre en œuvre des politiques équitables en la matière. Ils sont d’ailleurs seulement 27% à penser que celles-ci pourraient augmenter leur pouvoir d’achat, soit 11 points de moins par rapport à l’édition de 2021, soulignant l’érosion de la confiance des citoyens européens dans ce domaine.

Ces résultats illustrent l’inquiétude que la crise climatique génère dans l’opinion publique, qui s’est parfois traduite à travers des mouvements sociaux, comme cela a été le cas en France avec les Gilets jaunes en 2018 ou dans les urnes au Pays-Bas en novembre dernier avec la victoire de Geert Wilders, leader du parti d’extrême droite (son parti, le PVV[7], a entre autres fait campagne contre les mesures du Pacte vert). Paquet législatif portant un ensemble de mesures en termes de politiques publiques pour arriver à la neutralité carbone d’ici 2050 sur le continent européen, le Pacte vert essuie les critiques de la droite populiste et de l’extrême droite à Bruxelles qui souhaitent un « moratoire législatif », le président Emmanuel Macron ayant lui-même appeler à « une pause réglementaire européenne »[8] dans le domaine industriel. Affichant ainsi a minima leur frilosité, leur opposition voire leur profonde hostilité de peur de perdre le vote du monde agricole[9], plaidant pour le statu quo, si ce n’est à des reculs, la droite populiste et l’extrême droite l’ont bien compris : le Pacte vert sera l’un des sujets clivants des élections européennes en juin prochain. Reste à savoir si la gauche arrivera à porter la périlleuse équation d’une transition juste en expliquant les mesures issues du Pacte vert tout en avançant des propositions concrètes pour le nécessaire soutien et accompagnement auprès des ménages car l’état de la planète, lui, ne pourra pas se mettre en pause…

 

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Pour approfondir


Télécharger L’ENQUÊTE CLIMAT : FOCUS SUR L’OPINION EN FRANCE ET DANS L’UNION EUROPÉENNE

Alors que les phénomènes climatiques extrêmes se multiplient également en Europe, comment les citoyens du Vieux Continent perçoivent-ils la dégradation de l’environnement et ses enjeux ? Après des analyses en 2022 des situations françaiseeuropéenne dans une comparaison internationale et africaine, puis en 2023 de la situation latino-américaine, le nouveau volet de l’enquête internationale de la BEI et de la Fondation Jean-Jaurès réinterroge le rapport des Français et des Européens aux enjeux du changement climatique.

Notes

[2] Ibid.

[3] « COP28 : quel bilan ? », Oxfam, 21 décembre 2023.

[5] Neil Makaroff, Adelaïde Zulfikarpasic, « Enquête climat. Focus sur l’opinion en France et dans l’Union européenne », Fondation Jean-Jaurès, 28 novembre 2023.

[6] Ibid., page 9.

[7] PVV : Partij voor de Vrijheid