Les territoires littoraux et insulaires sont particulièrement vulnérables aux effets du dérèglement climatique dont il convient d’analyser et d’anticiper les impacts économique, social et écologique, tout en mettant en avant des retours d’expérience et pistes de solution pour que les territoires concernés puissent agir dans le sens d’une plus grande résilience. C’est pourquoi Green Cross France et Territoires, avec le soutien de l’Institut pour la Recherche de la Caisse des Dépôts, a réalisé une analyse des enjeux prioritaires pour la résilience de ces territoires, travaux qui ont donné lieu à la publication d’un Cahier de Recherche. Eclairage avec Nicolas Imbert, directeur Green Cross France et Territoires et Lucile Pillot, chargée de mission chez Green Cross France et Territoires.

Vous avez lancé en 2023 une recherche-action sur la résilience des territoires littoraux et insulaires face au dérèglement climatique. Pourquoi ces travaux, et précisément sur ces territoires ?

Depuis ses débuts Green Cross France et Territoires intervient auprès des territoires insulaires – en Nouvelle-Calédonie, en Bretagne, à Porquerolles et en Méditerranée – pour recueillir des retours d’expérience, proposer des clés pour agir et des pistes de solutions permettant d’aller de l’avant. Cette orientation historique de l'association, qui nous a permis de capitaliser sur de nombreuses expériences, a été amplement profitable à ce travail de recherche-action. Notre méthodologie "des vulnérabilités à la résilience" issue de ces recherches est bien adaptée aux territoires insulaires et littoraux.

Il a une urgence à agir face aux dérèglements climatiques (érosion côtière, canicules et sécheresses, inondations, densité de population et d'activités à risque...) et des opportunités pour construire localement la résilience que d'autres territoires n'ont pas, en évitant l’écueil de la mal-adaptation et en préservant la nature.  C'est tout l'objet de nos travaux. L’insularité est un laboratoire des transitions, faisons en sorte qu’elles soient efficaces, anticipées, et heureuses.

Pour mémoire, Green Cross a précédemment mené avec l'Institut pour la recherche de la Caisse des Dépôts, un travail de recherche-action similaire sur les stations de montagne.[1] Cette dualité de recherches nous a permis de mettre en avant des caractéristiques et des pistes de solution communes entre le littoral et la montagne : sur ces deux types de territoires, les activités sont directement menacées par le dérèglement climatique et les modèles économiques y sont souvent dépendants d’un type de tourisme issu de l’économie linéaire qui atteint désormais certaines limites. Ainsi, nous avons pu construire une grille d'analyse qui s'est révélée pertinente pour l'analyse des territoires littoraux et insulaires.

L’année 2023 a mis en évidence, très concrètement en France, les nombreux défis auxquels les territoires littoraux doivent faire face, et combien ils sont affectés tant par les effets du dérèglement climatique que par la nécessité d’évoluer d’une logique d’aménagement – prédominante depuis les années 1950 – à une « culture du ménagement », pour le triple bénéfice des populations, de l’économie et de la planète.

Une grande partie des solutions d'adaptation/d’atténuation des territoires au changement climatique repose sur les collectivités. Que peut-on faire, et comment, pour les aider à mettre en place des actions « sans-regret », et les inciter à mobiliser des moyens humains et financiers ambitieux pour évoluer vers plus de résilience ? 

Nos travaux montrent l'importance d'une vision holistique, intégrée des différents enjeux et secteurs, commune et partagée par les différents acteurs du territoire. C’est pourquoi nous l’avons construit avec beaucoup de modestie, de respect et d’humilité, en allant à la rencontre des territoires littoraux, en prenant le temps de la compréhension, des échanges et de la rencontre.

Notre approche s’appuie sur le concret et le réel, sur ce qu’il est possible de faire maintenant avec les outils et les leviers disponibles aujourd’hui. Il s’agit de répondre au mieux aux impact du dérèglement que l’on constate et à celui que l’on anticipe, non pas avec de grands objectifs à un horizon plus ou moins éloigné mais avec des actions concrètes et immédiatement réalisables, en mobilisant les moyens disponibles et les ressources humaines et matérielles locales.

La première étape est d'identifier les vulnérabilités et les enjeux prioritaires du territoire, puis de faciliter la mise en place d’instances « projet » opérationnelles et participatives, démocratiques, inclusives, impliquant habitants et acteurs dans la mise en place des solutions. Cette démarche issue du cadrage d’Aichi-Kunming et des accords d’Aarhus permet d’éviter les frictions idéologiques, et de se mobiliser collectivement sur des priorités et des projets construits et réalisés ensemble, au-delà des différences et divergences.

La deuxième étape est de co-construire la feuille de route du territoire. Nous avons eu, à ce stade, un retour d’expérience très clair et direct sur l’utilité de cette feuille de route pour restaurer les cohésions locales, de nombreux territoires ayant eu des difficultés récentes dans le vivre-ensemble en bonne harmonie, qu’il s’agisse de l’équilibre entre présentation touristique et réalités de l'accueil sur place, de l’accès des jeunes au foncier et à la terre, des choix de modèles économiques ou des conflits d’usage sur la bande littorale. Les exemples sont multiples et défraient les médias au quotidien, une feuille de route déclinée en plan de résilience territoriale apporte les bonnes réponses à ceci.

Enfin, l'étape décisive est la mise en mouvement immédiate du territoire sur les priorités identifiées par le plan de résilience territoriale. 

Avez-vous des exemples particulièrement inspirants de « mises en mouvement » réussies parmi les collectivités que vous avez accompagnées ? Qu’en retenez-vous en particulier ?

De ce point de vue, le retour d’expérience de notre mobilisation en appui de la Province des Iles Loyauté en Nouvelle-Calédonie est à tout à fait inspirant. Au printemps 2022, lors d’un forum de co-construction Innov’by Loyalty, la Province a mobilisé l’ensemble de ses partenaires et de ses habitants sur un constat partagé, plus de 70 pistes de solutions identifiées, et 5 priorités claires. La plus importante était la sécurisation du littoral d’Ouvéa par des solutions locales, fondées sur la nature et bio-inspirées.

Pour cela, un comité insulaire représentatif de l’ensemble d’Ouvéa a été mobilisé et a travaillé étroitement avec le Conseil de District détenteur du pouvoir coutumier et du foncier pour mettre en place un dispositif d’action à la hauteur des enjeux, lequel a conduit à l’obtention du label international Ile Durable délivrée par l’association SMILO (Small Islands Organization). Sur cette base, un réseau scientifique a été mobilisé (GLADYS) pour apporter au Conseil de District et à la Province des Iles Loyauté des éléments d’analyse mobilisant les habitants et leur permettant d’effectuer, avec des matériaux et savoir-faire locaux, une preuve de concept puis un prototype de solution bio-inspirée qui s’avère d’ores et déjà économiquement beaucoup plus performant, et écologiquement beaucoup plus utile et moins risqué que nombre de solutions également disponibles pour la préservation du trait de côte.

Green Cross a auditionné les différentes parties prenantes pour rendre ce type de solution plus facilement accessible - notamment à travers le Cahier de Recherche « Résilience des territoires littoraux et insulaires face au dérèglement climatique » réalisé avec l’appui de l’Institut pour la recherche de la Caisse des Dépôts -, et mettre en avant toutes ces dimensions, en particulier la nécessité d'intégrer les citoyens à la prise de décision et à la construction des solutions. 

La dimension culturelle, festive et les narrations sont également essentielles pour mobiliser sur les urgences environnementales. Ainsi, l'organisation il y a quelques années à Brest du Seafood Fusion Festival dont Green Cross était partenaire, a permis de mettre à l'honneur le patrimoine gastronomique de Brest, à des prix très accessibles, mais également de montrer l’importance de préserver la qualité des eaux et des écosystèmes côtiers. Un ensemble d’initiatives allant de la mobilisation coordonnée des producteurs, des pêcheurs et des chefs du territoire, à des actions de sensibilisation du public à la qualité du terroir et des produits locaux ont conduit à une meilleure connaissance du littoral, entrainant ce faisant l’envie de préserver davantage l’océan.

Comment étendre plus largement ces dispositifs ? Quels sont les écueils à surmonter ?

Les travaux relatés dans nos Cahiers de Recherche sont le fruit d’une expérience acquise à hauteur humaine, par le biais d’une relation au quotidien avec les territoires où nous sommes présents depuis longtemps, 12 ans pour les plus anciens. Nous voyons chaque année de nouveaux territoires nous rejoindre, très intéressés par la démarche. Ceci est parfois la volonté de communes ou communautés de communes, parfois d’instances comme les parcs naturels, d’autres fois d’offices du tourisme ou de collectifs d’habitants.

Nous constatons toujours un besoin très fort d’avancer et « d’apprendre en marchant », mais aussi de mobiliser collectivement dans une direction concrète, ambitieuse et raisonnée. C’est pourquoi, sur le sujet de la lutte contre le recul du trait de côte par exemple, Green Cross va réaliser un guide méthodologique - sur la base de différents retours d'expérience - à destination des décideurs territoriaux visant la mise en place de ces solutions bio-inspirées, que l’on soit en Mer du Nord ou en Manche, en Atlantique ou en Méditerranée, identifié ou non comme territoires prioritaires.

Il faut cependant garder à l‘esprit que deux difficultés de taille doivent être surmontées par les décideurs territoriaux qui font le choix de l’action.

La première concerne la feuille de route. De nombreux budgets et dispositifs existent pour mobiliser des partenaires extérieurs au territoire et obtenir des études macroscopiques sur ce qu’il convient de faire pour anticiper un horizon 2035 ou 2050.  Mais les moyens mis à disposition pour co-construire un plan de résilience territoriale restent difficiles à obtenir, alors que cette solution est celle qui présente le meilleur compromis bénéfices-risques, tout en permettant de mobiliser les habitants pour en faire des acteurs de la métamorphose face aux urgences écologiques au lieu de simples spectateurs d’un constat et d’un plan dont on reste en attente de la mise en œuvre concrète et impactante sur le quotidien.

La seconde porte sur l’effectivité des financements. Là encore, de nombreux dispositifs sont mobilisables, qu’il s’agisse du Fonds Verts comme des dispositifs poussés par la Caisse des Dépôts, l’ADEME et les partenaires territoriaux, mais ils demeurent très focalisés sur des constats et des études, et difficiles à activer pour des démarches locales porteuses de résilience territoriale, de mobilisation et de piste de solution.

C’est la pleine prise de conscience et la réalisation de cette métamorphose qui nous permettra d’accélérer la résilience de nos territoires, notamment insulaires, de développer les cohésions locales autour de l’urgence d’agir pour un littoral, une vie locale et une planète préservée, et d’assurer le nécessaire ménagement de notre quotidien, de nos modes de vie et de nos richesses matérielles et humaines.

[1] Ce premier cahier de recherche publié en 2022, Analyse des effets économiques du changement climatique en station de montagne, pose les constats et donne des orientations prioritaires. Green Cross est désormais focalisé sur la mise en place de quatre priorités. Un séminaire de co-construction se tient à cet effet du 9 au 11 janvier à Bourg Saint-Maurice les Arcs : http://bit.ly/Resilience24

Pour approfondir :


Télécharger le rapport Green Cross : Résilience des territoires littoraux et insulaires face au dérèglement climatique

Green Cross est un réseau d’organisations non gouvernementales (ONG) de plaidoyer et de projets créées par Mikhaïl Gorbatchev en 1993, dans la continuité du Sommet de la Terre à Rio, en 1992. Présidé par Jean-Michel Cousteau, dirigé par Nicolas Imbert, Green Cross France et Territoires en est le représentant français. L’association contribue à donner des clés pour agir et accentuer la transformation écologique de nos sociétés, qu’il s’agisse d’eau et d’océan, d’alimentation, de villes et territoires durables, d’économie circulaire, de coopération et de solidarités.