Près de deux ans après l'incendie qui a ravagé Notre-Dame de Paris, la récolte d’une cinquantaine de chênes sur les domaines forestiers gérés par La Société Forestière est lancée. Ils viennent s’ajouter au millier d’arbres prélevé sur le territoire français en vue de la reconstruction du transept et de la flèche de la cathédrale. Contrairement à ce qui a pu être dit parfois, les besoins en chêne nécessaires à cette reconstruction ne constituent en aucune manière le pillage des chênaies françaises !

De l’incendie à la récolte : petite histoire des faits

Le 15 avril 2019, la cathédrale Notre-Dame est en proie aux flammes. L'incendie détruit intégralement sa flèche, les toitures de la nef et du transept, ainsi que sa charpente, provoquant l’émoi de l’ensemble des Français. Dès le lendemain, les propriétaires forestiers, tant privés que publics, annoncent qu’ils fourniront gracieusement les chênes nécessaires à la reconstruction de la charpente de la cathédrale.

Le 9 Juillet 2020, le Président de la République confirme la reconstruction de la charpente à l’identique, en 2023. Précisons que la charpente date de deux époques bien distinctes : le XIIIème siècle pour la nef et le chœur, surnommés « La forêt », constitués de bois équarris à la main et par conséquent travaillés vert ; le XIXème siècle pour la flèche : il s’agit d’une réalisation que l’on doit à Viollet-le-Duc, réalisée en bois sciés et secs.

Entre juillet 2020 et Janvier 2021, les architectes des Monuments Historiques en charge du dossier étudient les archives afin d’établir la liste des débits nécessaires à la reconstruction de la flèche, cette opération étant prioritaire du fait des délais fixés et du besoin de disposer de bois secs, nécessitant de longs mois de séchage à l’air libre.

Le 15 janvier 2021, la liste des débits est transmise à l’interprofession France Bois Forêts. Une course contre la montre s’engage alors pour les forestiers puisqu’il leur faut sans délai, sélectionner les bois en forêt puis les récolter avant la montée de sève, soit autour du 15 mars, afin d’éviter que le taux d'humidité de l'arbre ne soit trop important, mais aussi parce celle-ci entraîne fatalement des piqûres d'insectes qui détériorent le bois. Cette date correspond également à une phase de la lune (lune noire) favorable à une meilleure conservation des bois sur la durée.

Les bois qui n’auront pas été coupés avant cette date le seront fin août-début septembre. Ce décalage sera mis à profit pour ajuster la sélection en fonction des premières réceptions des bois en scierie.

Des chênes mais pas n’importe lesquels

Pour réaliser la flèche et les travées adjacentes, environ 2 000 pièces de charpente devront être sciées. Certaines pièces sont de dimension modeste, d’autres beaucoup plus imposantes. Ainsi, les diagonales à la base de la flèche mesurent jusqu’à 18 m de long pour une section de 40*36 cm.

Pour produire l’ensemble des pièces de la flèche et des travées adjacentes, plus d'un millier de chênes environ[1] sera nécessaire. Cela représente un volume de l’ordre de 3 000 m3 de grumes.

Ces bois doivent présenter les caractéristiques suivantes :  bois droits et élancés, présentant le cas échéant de petites branches vivantes ou sèches. Les bois dépérissant et légèrement piqués sont acceptés. La piqure peut apparaître sur des bois stockés bord de route en mai-juin, mais il s'agit toutefois de trous inférieurs à 1mm, creusés par une larve, et qui ne peuvent naturellement pas affecter la résistance d’une pièce de charpente.    

Sont en revanche rédhibitoires, les défauts suivants :  les bois tords, la présence de branches mortes de gros diamètre, provoquant des nœuds pourris dans les débits, la présence de gélivures[2], déstructurantes pour les bois, ainsi que la présence de roulures au pied[3].

Les arbres recherchés doivent avoir des diamètres compris entre 50 et 110 cm (à 1.3 m de hauteur), ce qui correspond à des arbres de 80 à 150 ans, parfois 200 ans pour les plus gros (80 chênes). La longueur des grumes[4] doit être comprise entre 7 et 20 m pour les plus longues.

Pour la deuxième tranche de travaux, c’est-à-dire la reconstruction de la nef et du chœur datant du moyen-âge, on estime les besoins supplémentaires en chêne entre 1000 et 1500 m3, qui seront récoltés cet automne.

Moins de 0,2% de la récolte annuelle

Le chêne est l’essence reine en France, et couvre 3,8 millions d’hectares sur les 17 millions ha de forêt, soit 22 % de la surface. Le volume total de chêne sur pied est estimé à 615 millions de m3, pour 1,2 milliard d’arbres, dont 90 millions d’arbres de plus de 50 cm de diamètre.

La production biologique annuelle des chênes est estimée à 12.8 millions de m3, sur laquelle est prélevée seulement 6,5 millions m3, soit moins de 50 % de la production annuelle. Le stock de chêne s’accroit donc annuellement de plus de 6 millions de m3.

Le prélèvement de grumes représente pour sa part 2,2 à 2,4 millions de m3 par an.   Ainsi, les 3 000m3 de grumes nécessaires à la reconstruction de la flèche et des travées adjacentes représentent moins de 0,15 % de la récolte annuelle. En intégrant les besoins pour la nef et le chœur c’est environ 0.2% de la récolte annuelle.

Des coupes responsables

La majorité des bois provient des grandes régions productrices de chênes de qualité : Bourgogne, Centre Val de Loire, Grand Est, Pays de la Loire, Normandie. Cependant, et de façon symbolique, toutes les régions de France métropolitaine sont représentées, y compris celle situées au sud du pays. Quelques bois proviennent en effet de PACA et d’Occitanie.  

Ces arbres ont été prélevés dans des forêts gérées durablement selon un Plan de Gestion agréé par l’administration et dans le cadre d’une gestion normale des forêts. les prélèvements correspondent à des bois matures ou des bois issus de coupe d’amélioration (coupe prélevant des arbres au profit d’autres) dont la récolte était programmée dans les documents de gestion.

Ces forêts sont de plus toutes éco-certifiée selon le label PEFC. Les parcelles le nécessitant seront par la suite renouvelées, soit de façon naturelle (semis) soit artificielle (plantation).

12 à 18 mois de ressuyage pour le bois

Les chênes récoltés, dits « bord de route », seront de nouveaux mesurés et numérotés. Les caractéristiques de chaque grume, une appréciation de la qualité ainsi que des photos seront consignés dans une base de données dédiée. Cette base de données assurera une traçabilité des bois et permettra une pré-affectation d’un débit précis à chaque grume, afin d’éviter les doublons et d’estimer les éventuelles pièces manquantes. Certaines pièces exceptionnelles, par leur dimension et leur utilisation spécifique, feront l’objet d’une analyse plus poussée de la part des architectes, scieurs et charpentiers avant sciage.

Les grumes seront ensuite transportées vers les scieries partenaires en fonction de leur capacité de sciage.  Les bois les plus longs nécessiteront le recours à des transports exceptionnels. Le scieur qui réalisera les débits renseignera le numéro du débit et le numéro de la grume sur une base de données.

Ce double système d’identification permettra de suivre le voyage de chaque grume de la forêt vers la scierie, puis de la scierie jusqu’à la charpente de la flèche, du transept et de la nef. La traçabilité de chaque chêne sera ainsi assurée.

Les opérations de sciage s’étaleront d’avril à septembre-octobre. Les sciages seront ensuite stockés pendant plusieurs mois afin que les tannins (substance végétale de la famille des polyphénols, contenue dans le bois) soient lavés par la pluie. Ils seront ensuite soigneusement entreposés à l’abri de la pluie et du soleil jusqu’à leur mise à disposition des charpentiers, à priori début 2023.  L’objectif étant d’atteindre un taux d’humidité de moins de 30%.

 

 

Focus 

49 chênes prélevés sur le patrimoine forestier géré par La Société Forestière

La Caisse des Dépôts, la CNP Assurances et certains clients particuliers gérés par la Société Forestière ont souhaité dès l’origine participer à cette campagne de dons. La Caisse des Dépôts et la CNP Assurances ont dans un premier temps offert chacune 7 chênes pour réaliser la maquette d’une des fermes (éléments de charpente) à l’échelle 0,75, afin de montrer la capacité de la filière à se mobiliser. Cette maquette a été exposée sur le parvis de Notre-Dame lors des journées du patrimoine à l’automne 2020.

A partir du 15 janvier, les équipes de la Société Forestière se sont mises en quête de chênes pouvant correspondre aux critères de recherche définis par les architectes. Une centaine d’arbres a ainsi été recensée à travers différentes régions : Normandie, Centre, Bretagne, Pays-de-la-Loire, Bourgogne, Franche-Comté, Ile-de-France, Auvergne et Grand Est. Il a été décidé d’en récolter une cinquantaine dans un premier temps, réservant les autres pour les besoins qui seraient identifiés ultérieurement, pour une récolte qui aura lieu fin août/début septembre.

Ainsi, ont été récoltés 22 arbres sur le patrimoine de la Caisse des Dépôts, 20 arbres sur le patrimoine de CNP Assurances et 7 arbres chez des particuliers ou chez la Fondation Del Duca, soit un total de 49 arbres pour 200 m3.

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[1] 15 à 20% seront récoltés en sus pour pallier d’inévitables mauvaises surprises : défauts internes, bois nerveux…

[2] Gerçure, crevasse, fente causée aux arbres par l'action du gel

[3] La roulure est un défaut des arbres faisant que certaines couches du bois n'adhèrent plus aux autres et qui se traduit par un décollement des cernes

[4] Tronc d'arbre abattu auquel on a enlevé les branches mais non l'écorce.

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