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13 millions, c’est le nombre de Français toujours en difficulté face au numérique. 13 millions, c’est aussi le nombre d’élèves qui en mars 2020 ont troqué salles de classe et tableaux blancs contre écrans et « classes virtuelles ». Dans le même temps, les parents ont dû s’improviser enseignants dans l’espace familial. Ce quotidien éducatif vécu pendant plusieurs mois par les jeunes Français et leur famille est loin d’avoir été homogène. La crise sanitaire a creusé les inégalités sociales, économiques et scolaires et le cadre offert par le contexte familial n’a pas toujours permis le maintien d’une continuité éducative sereine.

Exclusions sociales, éducatives et numériques à l’heure de l’enseignement à distance

Comment suivre un cours à distance lorsque l’on partage un ordinateur avec ses frères et sœurs ? voir qu’on en possède pas du tout ?  qu’on ne dispose pas d’une bonne connexion internet ? Comment surpasser l’impasse éducative quand ses parents sont démunis face au numérique et à l’enseignement scolaire ?

Entre les mois de mars et de mai 2021, au moment du premier confinement et de l’école à distance, près de 20% des enfants sont « sortis des radars » de l’éducation nationale. Ce chiffre, révélé dans une enquête IFOP pour la Fondation Break Poverty, illustre les enjeux liés à l’école à distance, et plus globalement, les problématiques liées au développement du numérique dans l’enseignement. Cette même enquête souligne que les enfants les plus en difficulté face au dispositif « d’école à distance » sont aussi ceux issus des milieux socio-économiques les plus défavorisés. Lors du premier confinement, seuls 8% des parents issus de milieux aisés ont déclaré que leur enfant avait consacré une heure ou moins par jour aux enseignements à distance. Ce chiffre est de 33% pour les familles défavorisées.

La crise sanitaire semble avoir creusé les inégalités socio-économiques, numériques et éducatives, mais ne les a pas créées. Ces fractures sont bien antérieures à la crise que nous connaissons, la question du décrochage scolaire préexistant elle-même à la démocratisation des usages numériques en éducation. Les difficultés d’accès et d’usage du numérique sont des conséquences directes des difficultés socio-économiques des individus. Les profils des 13 millions de français en situation d’illectronisme, et la déconstruction du mythe des « digital native », cette génération qui aurait une grande maîtrise du numérique parce que tombée dans la marmite du web 2.0, en sont la parfaite illustration.

Les jeunes en situation de précarité sont donc face à un risque supérieur de se retrouver en difficulté dans leurs apprentissages et dans leur accès au numérique. Cette « triple peine » est d’autant moins acceptable que l’éducation au et par le numérique peut aussi être une réponse à la lutte contre le décrochage scolaire.

 

Vers plus de collaboration

Dans cette lutte, les réponses apportées vont souvent dans le sens d’une personnalisation de l’enseignement. Pour Serge Ebersold, sociologue et titulaire de la chaire « accessibilité et enseignement » au CNAM cette personnalisation pose toutefois question. Tel qu’explicité notamment lors de la conférence organisée par l’AFINEF dans le cadre de l’événement In-FINE, l’injonction à la personnalisation serait une erreur, il défend l’idée qu'il faut penser l’éducation au et par le numérique dans une logique collaborative. Favorisant l’autonomisation, le numérique facilite aussi l’accessibilité au et par les apprentissages entre pairs. C’est en responsabilisant les enfants, en les rendant acteurs de leur éducation, qu’on favorise la confiance en soi et donc la réussite scolaire. Le numérique ne doit pas être considéré comme un « outil magique », capable de répondre à tous les maux, mais bien comme un support adaptable aux profils et potentialités de chacun.

Le numérique favorise le développement de méthodologies d’apprentissage innovantes et inclusives : la co-éducation, la ludification des apprentissages, le mentorat... Ces méthodologies positionnent les jeunes au cœur de leurs apprentissages, et permettent aux acteurs éducatifs de ne plus se plier à l’injonction de la personnalisation, elle facilite au contraire la collaboration entre apprenants.

Le troisième numéro du magazine Chut ! « Va, vis et apprends » est consacré à ces nouvelles méthodologies éducatives qui bouleversent nos apprentissages et constituent le paysage du numérique éducatif et inclusif : le serious game pour travailler sur la motivation et favoriser la collaboration, les perspectives offertes par l’intelligence artificielle qui permettent d’adapter les apprentissages aux apprenants (et non l’inverse), les plateformes collaboratives et en premier lieu les réseaux sociaux pour vulgariser et transmettre des savoirs complexes, les mooc et autres solutions numériques pour former et se former tout au long de la vie…

Dans ce même numéro, une interview du chercheur François Taddei donne de la perspective à ces nouvelles méthodes d’apprentissages du XXIème siècle. Dans cet entretien, le chercheur en appelle à l’intelligence collective. Contribuer à Wikipédia, (ou Vikidia pour les 8-13 ans), partager son code sur la plateforme Scratch ou Github, sont par exemple de bonnes pratiques à adopter mais non sans accompagnement. Rappelons que le web collaboratif peut aussi être un terreau fertile à la « bêtise collective ». La massification de la diffusion de fausses informations et de théories complotistes en est la parfaite illustration.

La place de l’adulte, la place de l’enseignant reste bien évidemment primordiale pour accompagner ces nouvelles pratiques, et pour, comme le souligne François Taddei, exercer ce qui est au cœur du métier d’enseignant : apprendre à apprendre. Enfin, la question des lieux n’est en elle-même pas neutre. Les lieux d’apprentissage institutionnels, comme les établissements scolaires et universitaires peuvent favoriser la compétition. François Taddei appelle de ces vœux l’émergence de davantage de lieux qui favorisent l’apprentissages en collaboration et la médiation. Les tiers-lieux et fablabs en sont la parfaite incarnation. 

 

Des expérimentations qui ont fait leurs preuves sur les territoires

Ces nouvelles modalités d’action, ces nouveaux leviers éducatifs, sont déjà éprouvés sur les territoires. La plateforme « Evolukid » offre par exemple un accès à des contenus vidéos, des parcours pédagogiques, des ressources éducatives pour permettre aux enfants d’apprendre avec l’aide de leurs pairs. Via cette plateforme, les enfants ont autant un rôle d’apprenant qu’un rôle de pair dans l’apprentissage. Ce dispositif de sensibilisation et d’éducation aux sciences informatiques, porte une attention particulière à la lutte contre les déterminismes sociaux et scolaires. La méthodologie d’apprentissage entre pairs offre la possibilité aux jeunes en situation de fragilité scolaire de reprendre confiance en leurs capacités et potentialités.

La plateforme « Edumalin » permet également aux élèves les plus en difficultés, aux NEETs[1], d’apprendre à leur rythme et d’apprendre à apprendre. Outil de soutien scolaire pour les élèves, il est aussi un outil d’accompagnement pour les enseignants, leur permettant d’identifier les points de blocage dans les apprentissages.

Autre illustration, le programme d’engagement de jeunes volontaires en mission de service civique « Les Connectés » de l’association Unis Cités permet à des jeunes âgés de 16 à 25 ans de bénéficier de formations aux pratiques et usages du numérique. L’acquisition de ces compétences les incite ensuite à s’engager dans l’accompagnement des publics en situation d'exclusion numérique, notamment les enfants les plus en difficulté.  Vecteur de mixité, ce programme permet de développer des dynamiques d’engagement et d’accompagnement des jeunes dans leurs projets d’avenir, tout en les sensibilisant aux pratiques numériques.

Nous sommes convaincus de la nécessité de promouvoir une vision inclusive de l’éducation au et par le numérique. C’est en ce sens que la Banque des Territoires s’est investie dans la « Grande Ecole du Numérique », qui accompagne et labélise des lieux et des formations qui permettent à tous, et notamment aux publics fragilisés, de bénéficier de formations diplômantes au numérique. 

C’est en ce sens aussi qu’elle a participé activement aux déploiements de programmes d’investissements d’avenir, comme par exemple le programme « Culture de l’innovation et de l’entreprenariat » qui a permis de financer 18 projets d’éducation au et par le numérique, sur le volet du code notamment.

 

[1] NEET signifie Not in Education, Employment or Training (« ni étudiant, ni employé, ni stagiaire »)

FOCUS

« Numérique Inclusif, Numérique Éducatif »

Un dispositif de la Banque des territoires pour favoriser les méthodologies inclusives en éducation

Dans le cadre des engagements « Plan de Relance » pris par la Caisse de Dépôts, et dans la continuité des actions qu’elle a déjà engagé sur ce champ, la Banque des Territoires propose une offre d’accompagnement des territoires pour développer des projets d’éducation au et par le numérique à forte dimension inclusive. Ces projets doivent notamment permettre de répondre à deux ambitions :

1. Développer une offre territoriale et inclusive d’éducation au numérique qui contribue à renforcer l’accès à l’éducation, tout en luttant contre les fractures territoriales et les inégalités économiques, sociales et scolaires ; 

2. Proposer des méthodologies et pédagogies innovantes, impliquant l’ensemble des acteurs agissant en faveur de l’éducation et de l’inclusion : les associations, les entreprises de la EdTech et les acteurs publics.

 

Financer vos projets avec le dispositif Numérique Inclusif, Numérique Éducatif