Comment mettre en perspective la dynamique du travail en France depuis le début de la pandémie ? La comparaison du cas français aux dynamiques de quelques pays européens, représentatifs de la variété des politiques sanitaires depuis le début de la crise, révèle quelques caractéristiques:travailleurs précaires et chômeurs découragés ont été les catégories les plus touchées. Sept
graphiques présentent les conséquences des choix politiques sur le maintien dans l’emploi (marge extensive) et sur la durée du travail (marge intensive).

La chute et le rebond des heures de travail en Europe

La baisse immédiate due au premier confinement met en avant trois blocs : Suède, Pays-Bas, Danemark (croix) ; Espagne, Italie, Portugal (triangles); France et Royaume-Uni (hexagones). L’Allemagne semble suivre une trajectoire médiane. La cohérence des blocs disparaît au troisième trimestre: le rebond est général sauf en Suède, qui continue de voir le nombre d’heures baisser au début de l’année 2021. Il est le plus faible au Royaume-Uni, alors que les Pays-Bas retrouvent au 1er octobre le temps de travail presté, avant la rechute. Cette rechute n’est pas générale au quatrième trimestre: seul le Danemark retrouve l’intégralité de ses heures. Le Portugal, le Royaume-Uni et la France regagnent également des heures alors qu’ils étaient parmi les pays qui en avaient le plus perdu. Les nouveaux confinements entraînent des pertes de quelques points, c’est le cas de l’Allemagne  dont la trajectoire semblait jusque-là médiane.

Dans l'ensemble, l'évolution des heures de travail prestées ne correspond cependant qu’imparfaitement aux phases des politiques sanitaires menées dans les pays.

L’évolution du taux de chômage après le premier confinement : reflux ou stagnation (2020-mars 2021, BIT)

La trajectoire des Etats-Unis correspond à ce qui pouvait être dans les autres pays présentés ici. Après la vive hausse du deuxième trimestre 2020, la décroissance du taux de chômage intervient rapidement puis ralentit dans les derniers mois de 2020 et les premiers mois de 2021. Les profils européens sont très différents : une quasi-stabilité en moyenne pour l’UE à 27 comme pour l’Eurozone (à un niveau plus élevé) et de très fortes disparités en niveau comme en évolution selon les pays. L’opposition est ainsi radicale entre l’Allemagne, stable à un niveau faible, et l’Espagne, dont le chômage décroît un peu mais reste à un niveau très élevé. La France se situe dans une position intermédiaire. Les profils en V pour la Suède, la France et l’Italie confirment les difficultés de la fin de l’année 2020 et se traduisent par un léger gonflement du chômage. Les Pays-Bas et le Portugal ont un profil descendant comme aux E.U., mais sans une forte hausse.
L’ensemble de ces évolutions dépend largement des dispositifs d’activité partielle. Absents aux Etats-Unis, généralisés dans l’UE, ils ont permis aux pays européens de contenir très largement la hausse du chômage au sens du BIT mais n’ont pas modifié l’étagement de ses niveaux antérieurs.

 

L’évolution de l’emploi et de l’inactivité 2019–20 chez les 15–24 ans: la France et l’Allemagne par rapport à l’U.E.

Population la plus susceptible de subir les conséquences de la pandémie, les jeunes peuvent prolonger leurs études et/ou se retirer du marché du travail (effet du « travailleur découragé »), puis y retourner rapidement si les perspectives s'améliorent (effet du « travailleur additionnel »). Ce graphique présente l’évolution des formes d’emploi au cours des quatre trimestres 2020. Un oscillogramme se dessine, dont les variations sont souvent de bien plus grande amplitude que celles du chômage. Dans l’Union européenne, c’est la hausse des jeunes chômeurs découragés qui a marqué le deuxième trimestre 2020 et la forte baisse de l’emploi. Ces tendances sont encore plus marquées en France, mais bien plus faibles en Allemagne, où les changements les plus forts ont lieu au premier trimestre. Au troisième trimestre 2020, une évolution en sens inverse mais de moindre amplitude s’observe. Les évolutions des autres pays sont de moindre amplitude, l’Allemagne se singularisant par la baisse des jeunes inactifs.

 

L’évolution du chômage des jeunes en Europe de mars 2020 à mars 2021 : une hausse puis la persistance de niveaux élevés

De manière générale, les statistiques du chômage ne tiennent pas compte de la totalité du ralentissement du marché du travail. Certaines personnes sans emploi peuvent en effet être classées comme «hors de la population active», car elles ne sont pas en mesure de rechercher activement un emploi ou ne sont pas disponibles pour travailler. En dehors de l’Espagne, on peut néanmoins remarquer que le taux de chômage des jeunes est resté remarquablement stable. En France, le taux d’emploi des jeunes a reculé en 2020 (− 1,2 point pour les 15-24 ans). Cette baisse porte avant tout sur ceux qui ne sont pas en études (− 1,4 point), la part des apprentis augmentant (+ 0,4 point) et le cumul emploi / études étant de son côté quasi stable (− 0,1 point).

 

Le sort des jeunes sans emploi en France

La catégorie des jeunes sans emploi, hors éducation initiale et formation continue, s’alimente chaque année aux délais et aux échecs de l’insertion des jeunes sortis de la formation initiale avec peu ou pas de diplômes. Avec un retard plus ou moins grand, les cohortes successives de jeunes peu ou pas qualifiés trouvent un emploi ou une filière de formation complémentaire.
Ces situations ont été plus fréquentes lors du premier confinement, suite à l’interruption de nombreuses prises en charge sous forme de parcours d’insertion et de formation. La hausse brusque et temporaire est sans doute due à l’annulation de stages et à la forte baisse des contrats courts, la hausse qui concerne les femmes de 15-24 ans est plus amortie.

 

L’évolution des contrats courts en France

L’enregistrement des fins de contrats à durée déterminée rend compte de l’assèchement de
larges pans du marché du travail salarié précaire. Les fins de contrats s’enchaînent en effet avec des débuts de contrats (non enregistrés ici) notamment quand il s’agit de contrats très courts.
Parmi les perdants principaux de la gestion de la pandémie en France se trouvent les travailleurs les plus précaires. Les salariés sur contrats courts voire très courts ont été privés de la moitié des occasions de travailler en T2 et encore d’un quart – un tiers en T3, avant que n’arrive le second confinement d’octobre – novembre 2020. Au quatrième trimestre 2020, le rebond est interrompu.

 

L’évolution du chômage femmes / hommes en Europe de mars 2020 à mars 2021 : une exception française ?

La demande de travailleurs occupant des postes aux contacts du virus a diminué, tandis que l'offre de main-d'oeuvre des parents a été réduite par le manque d'accès à des services de garde d'enfants fiables et à des options de scolarisation en personne. Cela a conduit à une baisse substantielle de l'emploi et du taux d'activité des femmes, qui sont généralement moins touchées par les récessions que les hommes.
La décomposition par sexe fait apparaître en moyenne et pour la plupart des pays européens une évolution plus défavorable pour les femmes, le taux de chômage de celles-ci devenant supérieur à celui des hommes. Les femmes les moins instruites et les mères de jeunes enfants ont été les plus touchées. Les emplois masculins sont toujours les plus sensibles aux crises, tandis que les emplois occupés par les femmes, plus souvent dans le tertiaire, sont moins sensibles à la conjoncture. En cela, la récession est inédite, frappant davantage les femmes que les hommes.
Un pays fait exception: la France, pour laquelle la position relative des hommes se détériore depuis décembre 2020. Il est trop tôt pour avancer des éléments d’explication. dans le contexte de recours massif puis déclinant aux dispositifs de chômage partiel, il faut noter que le taux de chômage n’est qu’un indicateur partiel de la situation d’un groupe au regard du travail et de l’emploi : entrent également en ligne de compte la répartition des horaires, entre temps complet et temps partiel, le taux de chômeurs(euses) découragé(e)s, la nombre de temps partiels involontaires.