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Ce texte s’inscrit dans une série d’articles issus d’une recherche soutenue par l’Institut pour la recherche de la Caisse des dépôts et consacrée aux métaux de la transition énergétique.
Dirigée par Gilles Lepesant, Directeur de recherche en géographie au CNRS (CEFRES, Prague 2025), cette recherche examine les différents enjeux géopolitiques, industriels, sociaux et environnementaux des métaux nécessaires à la décarbonation du mix électrique ainsi que les stratégies déployées par l’Union européenne et par les pays qui l’approvisionnent. Ces travaux donneront lieu à un rapport en décembre 2025.
SOMMAIRE
« En conduisant votre voiture électrique, en utilisant votre smartphone ou en admirant vos bijoux, réfléchissez un instant au coût humain de la fabrication de ces objets [...]. Ce ne sont pas seulement les auteurs de violences qui sont responsables de leurs crimes, ce sont aussi ceux qui choisissent de détourner le regard »
Denis Mukwege, prix Nobel de la paix 2018i.
Au-delà de leur disponibilité et de leur coût, les métaux revêtent des enjeux sociaux et environnementaux qui gagnent à être précisés au regard des ambitions de la transition énergétique en matière de développement durable. Ces enjeux exigent un raisonnement à l’échelle des chaînes de valeur dans leur ensemble. Or, sous l’effet de la mondialisation, celles-ci sont plus fragmentées que jamais. Sans détailler à ce stade le large éventail des options permettant de mieux sécuriser un approvisionnement durable en métaux, cet article expose les principaux défis à relever.
Si l’analyse des métaux dits critiques suggère un rapprochement avec la géopolitique du gaz et du pétrole, leur géographie est spécifique. Elle est concentrée sur un nombre plus limité de pays, les trois premiers producteurs détenant entre 60 et 80% de la production mondiale. La géographie du raffinage est encore plus resserrée. La Chine détient ici plus de la moitié des capacités pour les métaux nécessaires à la transition énergétique. Or, l’extraction et le raffinage soulèvent des défis sociaux et environnementaux.
Sur le plan environnemental, les risques concernent les ressources en eauii, la déforestation et plus généralement la biodiversité. En Amérique latine, l’exploitation des saumures de lithium par évaporation à proximité des lacs salés exige d’importantes quantités d’eau et contribue au stress hydrique dans des zones déjà affectées par une pénurie en eauiii. En Indonésie, l’exploitation du nickel contribue à la destruction de forêt primaires à l’emplacement des mines nouvelles comme au voisinage des unités de raffinageiv. En Chine, l’environnement est affecté par l’extraction des terres rares et par les activités des usines de séparation hydrométallurgiques. Aux rejets en quantité de produits toxiques dans l’eau et dans les sols s’ajoute la radioactivité de certains minerais extraits simultanément (thorium, uranium, radium). Enfin, sur le plan climatique, environ 7% des émissions mondiales de GES incombent au secteur minier.
Sur le plan social, les États miniers disposent le plus souvent d’un cadre législatif supposé limiter les risques de l’activité minière pour les populations. Les études d’impact environnemental, la consultation des citoyens ou encore la prise en compte de la Convention de l'Organisation internationale du travail relative aux peuples indigènes et tribaux (1989) ne suffisent toutefois pas. Une mise en œuvre effective à l’échelle locale s’impose. Or, les conflits opposant sociétés minières et populations locales sont répandus même si, le plus souvent, différents contentieux en sont à l’origine.
Au Panama, l’une des plus grandes mines de cuivre au monde a ainsi traversé plusieurs crises avant de devoir suspendre ses activités en 2023 face au mécontentement des populations locales et des ONG condamnant le modèle extractiviste. Aux États-Unis, une large part des gisements prometteurs se trouvent près de réserves de populations indigènes. En Amérique latine, en Afrique, en Asie, le rôle croissant des mines artisanales contribue également aux pressions sur l’environnement et aux tensions sociales.
20% de l’or et 12% du cobalt dans le monde seraient désormais issus de mines artisanalesv. En RDC où les « creuseurs » fournissent environ 20 % de la production nationalevi, un nouveau code minier adopté en 2022 institua des zones d’exploitation artisanales (ZEA). Au Pérou, des sociétés minières du secteur du cuivre (le pays est le deuxième producteur mondial de ce métal) s’opposent aux mineurs artisanaux détenteurs de droits sur les concessions qu’elles ont obtenuesvii.
Jusque-là confinée aux métaux précieux, la pratique de la mine artisanale gagne ainsi d’autres métaux comme le cuivreviii. Si elle permet aux populations locales de tirer profit des richesses du sous-sol, elle soulève néanmoins plusieurs défis comme le travail des enfants, les tensions récurrentes avec les mines officielles voisines et la dégradation des écosystèmes. Or, la production de la mine artisanale est fréquemment mêlée à celle des mines officielles lors du transfert des métaux extraits vers les pôles de raffinageix.
Dans ce contexte, la mine durable est-elle une illusion ? L’extraction directe de lithium (ou DLE) qui permet de réduire les quantités d’eau et le temps nécessaire à l’obtention du lithium se diffuse en Amérique latinex. Des normes internationales ont été adoptées sous l’égide de l’OCDE pour assurer la prise en compte par les différents acteurs des chaînes de valeur des implications sociales et environnementales de leurs pratiquesxi. Garantir une parfaite traçabilité est néanmoins une gageure dans le cas des métauxxii, notamment parce qu’entre la mine et l’installation de raffinage des métaux extraits de mines artisanales peuvent se mêler à des ressources extraites de mines officielles. L’analyse isotopique pratiquée avec l’or et le coltan pourrait ici être élargie au lithium afin de localiser avec précision l’origine de la ressourcexiii. D’autres initiatives ont été lancées à l’instar de la RRMI (Responsible Raw Materials Initiative) encadrée avant tout par des acteurs industriels du secteur de l’informatique et de l’automobile. S’agissant des financements, la bourse des métaux de Londres a en 2025 et sous la pression d’acteurs industriels soucieux de préserver leur réputation, lancé une réflexion sur un bonus à accorder aux métaux dits vertsxiv. Au Canada, des schémas de coopération ont été établis avec les communautés inuit (Impact-Benefits Agreements). Certains acteurs industriels font, eux, le choix radical de se réorienter vers des pays moins exposés aux pratiques condamnées par les ONG. Des constructeurs automobiles contractent ainsi directement avec des mines qu’ils ont identifiées comme ayant les meilleures pratiques en termes de développement durable. Des contrats d’approvisionnement permettent ici d’assurer visibilitéxv et traçabilité aux sociétés minières comme aux industriels, une stratégie qui fait écho au choix d’Henri Ford dans les années 1920 de se porter propriétaire de mines de métal.
Autant d’options qui n’épuisent pas le sujet et qui, dans le contexte d’une forte croissance de la demande en métaux, suggèrent que des partenariats renouvelés entre pays européens et pays fournisseurs doivent être encouragés au même titre que des politiques limitant les besoins en matière d’extraction (recyclage et sobriété notamment).
Notes
i Discours de Denis Mukwege lors de la remise du prix Nobel de la paix 2018, Oslo, 10 décembre 2018.
ii Nassar Nedal T., Graedel Thomas E. et Harper E. M., « By-product metals are technologically essential but have problematic supply », Science Advances, vol. 1, n° 3, 2015.
iii Schomberg, A.C et al., « Extended life cycle assessment reveals the spatially-explicit water scarcity footprint of a lithium-ion battery storage », Commun Earth Environ 2, 11 (2021).
iv Lo M. et al., « Nickel mining reduced forest cover in Indonesia but had mixed outcomes for well-being », One Earth, 7, 2019–2033, November 15, 2024.
v Banque mondiale, Achieving Sustainable and Inclusive Artisanal and Small-Scale Mining (ASM): A Renewed Framework for World Bank Engagement. 20 septembre 2024.
vi Tsurukawa N. et al., « Social Impacts of Artisanal Cobalt Mining in Katanga, Democratic Republic of Congo », Oko Institute, novembre 2011.
vii Aquino M. et Rochabrun M., Insight: In Peru's hills, an artisanal miner boom frustrates Big Copper's plans, Reuters, 1.12.2022.
viii Alliance for responsible mining, Artisanal and small-scale copper mining in Peru, 2024.
ix Rochabrun M. et Attwood J., Contentious Copper Boom Sparks Existential Mining Crisis in Peru, Bloomberg, 28 mars 2025
x International Lithium Association, Direct Lithium Extraction (DLE): An Introduction, 2024.
xi OCDE (2016), Guide OCDE sur le devoir de diligence pour des chaînes d’approvisionnement responsables en minerais provenant de zones de conflit ou à haut risque (3e édition), Paris, Éditions OCDE.
xii Vogel C. et al., « A miner’s canary in eastern Congo: formalisation of artisanal 3T mining and precarious livelihoods in South Kivu », The Extractive Industries and Societies, vol. 5, n° 1, 2018, p. 73-80.
xiii Le principe de cette méthode consiste à vérifier que le produit correspond à son origine déclarée en comparant l’échantillon en question à des échantillons de référence d’origine connue stockés dans une base de données.
xiv Hodgson C., « London Metal Exchange plans to introduce green metals premium », Financial Times, 23 avril 2025.
xv À titre d’exemple, Hastings Technology concède une partie de la production de son site de Yangibana dans l’Ouest australien à Thyssenkrupp et à Schaeffler AG. In : Burton M., Australian rare earth miners push development deals to counter China grip, Reuters, 14 juin 2019.