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Ce texte s’inscrit dans une série d’articles issus d’une recherche soutenue par l’Institut pour la recherche de la Caisse des dépôts et consacrée aux métaux de la transition énergétique.
Dirigée par Gilles Lepesant, Directeur de recherche en géographie au CNRS (CEFRES, Prague 2025), cette recherche examine les différents enjeux géopolitiques, industriels, sociaux et environnementaux des métaux nécessaires à la décarbonation du mix électrique ainsi que les stratégies déployées par l’Union européenne et par les pays qui l’approvisionnent. Ces travaux donneront lieu à un rapport en décembre 2025.
SOMMAIRE
À la fin du 19ème siècle, 50% des métaux extraits du sous-sol l’étaient en Europe. Ce chiffre est désormais inférieur à 5% alors que 30% des métaux sont consommés par les Européens. Une relance de l’activité minière est néanmoins à l’ordre du jour comme en témoigne la mise en œuvre depuis 2024 du règlement européen sur les matières premières critiques. Pour que la souveraineté européenne soit renforcée, de nombreux obstacles techniques, économiques, sociaux restent néanmoins à surmonter.
Les perspectives publiées par l'Agence internationale de l'énergie (AIE) en mai 2024 soulignent que la demande en métaux devrait doubler d'ici 2030[1]. Elle pourrait presque tripler d'ici là et quadrupler d'ici 2040 dans l’hypothèse de politiques climatiques plus ambitieuses que celles annoncées. Cette dynamique est pour l’essentiel imputable à la transition énergétique, le véhicule électrique, le stockage stationnaire, les énergies renouvelables et les réseaux de distribution soutenant la demande.
La contribution européenne à la production mondiale de métaux est à ce jour modeste. Elle oscille entre 2 et 5% pour le cobalt (la Finlande étant le principal pourvoyeur). Ce même pays fournit également l’essentiel du nickel de même que la France (6,5 % de la production mondiale provient de Nouvelle-Calédonie). Pour le cuivre, la contribution européenne oscille entre 12 et 15% de la production mondiale. S’agissant du lithium, aucun pays ne dispose d’une mine de qualité batterie, les gisements existants (au Portugal par exemple) étant principalement destinés à la production de céramique.
Entré en vigueur en mai 2024, le règlement européen CRMA[2] énonce une série de dispositions traitant de l’extraction, du recyclage, de l’importation des métaux nécessaires à la transition énergétique. D’ici à 2030, l’UE vise à extraire sur son sol 10% des métaux dont elle a besoin, à en raffiner 40% et à recourir à hauteur de 25% à des matériaux recyclés. Dans ce contexte, l’UE a adopté début 2025 une liste de 47 projets répartis dans 13 États membres de l'UE dont plusieurs projets miniers (notamment le projet Emili d’extraction de lithium dans l’Allier).
Ces projets devraient bénéficier de procédures d’autorisation moins longues (un délai maximal de 27 mois est prévu pour l’obtention de l’accord des pouvoirs publics) et d’un accès facilité aux financements. L’Europe compte plusieurs régions disposant d’un potentiel minier avéré, voire d’une culture minière ancienne et différents projets, susceptibles de réduire la dépendance européenne, émergent.
La péninsule ibérique abrite des réserves significatives, notamment pour le cuivre (en Andalousie), le nickel, le cobalt et le lithium (au Portugal). En Europe centrale, la Pologne dispose d’une des plus grandes mines de cuivre d’Europe. En Bohême, l’activité minière est ancienne et certaines mines, arrêtées dans les années 90, pourraient être réanimées notamment pour la production de lithium (Cínovec). Dans les Balkans, la Serbie possède des réserves de cuivre et de cobalt (comme sous-produit) et de lithium.
En France, la production de ce dernier pourrait commencer en 2028 sur un site de l’Allier (projet Emili) jusque-là consacré au kaolin. Dans la vallée du Rhin, en France comme en Allemagne, l’exploitation de saumures géothermales s’annonce prometteuse même si la teneur des gisements reste à préciser.
La principale région productrice de métaux reste cependant la Scandinavie. La Suède est le premier producteur de minerai de fer en Europe et fournit également du cuivre, du zinc, du plomb, de l’argent. La Finlande est le principal producteur européen de cuivre et abrite un projet important de lithium (mine de Keliber).
Dans les secteurs du lithium et des terres rares, les projets miniers actuellement discutés (sans pour autant être proches d’une mise en exploitation) satisferaient respectivement entre 25 et 55% et entre 20 et 80% de la demande projetée pour 2030[3]. Dans les secteurs du cuivre, du zinc, du nickel, les projets à l’étude couvriraient à peine la production actuelle des gisements aujourd’hui en voie d’épuisement. Dans ce contexte, l’industrie européenne de la batterie risque de manquer de matières premières. Si l’UE atteignait son objectif de satisfaire par elle-même 50% de ses besoins en cathodes d’ici 2030, 55% seulement des métaux nécessaires seraient disponibles sur le sol européen.
Au-delà de la seule extraction de métaux, la question du raffinage est centrale et l’UE manque encore de capacités en la matière. La première unité de raffinage de lithium a ouvert en 2024 en Allemagne (Bitterfeld-Wolfen), la matière première provenant pour l’essentiel du Brésil. D’autres raffineries sont envisagées à Kokkola en Finlande ainsi qu’à la frontière germano-polonaise (Guben) avec une production de lithium qualité batterie prévue à partir de 2026. La volatilité des marchés (lors du premier semestre 2025, le cours de la plupart des métaux liés à la transition énergétique était orienté à la baisse) induit néanmoins une incertitude défavorable à des décisions d’investissement sur le long-terme.
Le faible rendement des mines peut également fragiliser le modèle économique des projets miniers avec des conséquences indirectes. L’exploitation de nickel et de cuivre à Kylylahti en Finlande a ainsi été interrompue avec pour conséquence un arrêt de la production d’un des sous-produits, le cobalt, malgré un contexte économique favorable à ce dernier[4]. Le coût de l'énergie constitue un autre défi de l’industrie minière. Selon le minerai et la nature des opérations conduites, il représente entre 10 et 20 % des coûts d'exploitation[5] même si des solutions existent dans certains cas (une flotte de véhicules électriques déployés dans les tunnels permet par exemple de réduire les besoins en ventilation).
Aux enjeux économiques s’ajoutent les défis environnementaux de nature à dresser les populations locales contre tout projet minier. Le passé minier de l’Europe est riche d’accidents qui ont nourri un imaginaire hostile à la mine[6]. Plusieurs catastrophes liées aux déchets miniers sont survenues en Europe, par exemple à Baia Mare (Roumanie), à Kolontar (Hongrie), à Talvivaara (Finlande) ou encore en Espagne (rupture du barrage de la mine de Los Frailes en Andalousie) [7].
La production minière et métallurgique européenne est certes moins intense en CO2 que la moyenne mondiale et les risques pour l’approvisionnement en eau et la biodiversité sont moindres que dans d’autres régions. Ces risques sont néanmoins avérés et les législations s’avèrent, sur certains points, insuffisantes[8].
L’industrie s’emploie à relativiser et à contextualiser les aléas. D’une part, le nombre de mines appelées à être mises en exploitation est modeste. D’autre part, les technologies nouvelles permettent de limiter les risques de sorte qu’une évaluation au cas par cas des projets miniers s’impose, plutôt qu’un jugement sur l’industrie minière appréhendée dans sa globalité. Les oppositions locales sont néanmoins de nature à freiner les projets. Elles ont conduit à la suspension de la mise en exploitation d’une mine de lithium en Serbie et de gisements prometteurs de terres rares en Suède et au Groenland. Plus largement, les pays scandinaves, riches en ressources minérales, tentent de nouer des compromis avec la population Sami, seul peuple autochtone reconnu en Europe, impliqué dans une quarantaine de procédures judiciaires contre différents projets miniers.
Les délais inhérents aux procédures administratives constituent un autre défi. À l’instar de plusieurs autres pays européens, la France (où le dernier inventaire minier remonte à la période 1975 et 1992, concernait surtout les 100 à 200 premiers mètres du sous-sol) a initié une refonte de son code minier et a simplifié certaines procédures afin d’accélérer la mise en exploitation des gisements[9].
Au final, les projets initiés à travers le continent attestent d’une relance de l’activité minière en Europe et certains pays prévoient de satisfaire l’essentiel des besoins de leur industrie de la batterie (par exemple la France dans le cas du lithium). Faute de financements suffisants et de réformes profondes des législations nationales, rien ne permet cependant d’anticiper une hausse significative de l’offre européenne. En se fixant pour ambition d’extraire 10% seulement des métaux qui lui seront nécessaires d’ici 2030, l’UE semble elle-même prendre acte de cette réalité.
[1] https://www.iea.org/reports/global-critical-minerals-outlook-2024/outlook-for-key-minerals. Consulté le 12 août 2025.
[2] Critical raw materials Act (Règlement sur les matières premières critiques). Règlement 2024/1252 du Parlement européen et du Conseil du 11 avril 2024 établissant un cadre visant à garantir un approvisionnement sûr et durable en matières premières critiques.
[3] G. Liesbet, Metals for Clean Energy: Pathways to solving Europe’s raw materials challenge, rapport rédigé par l’Université KU Leuven et commandé par Eurometaux, avril 2022.
[4] A. Roelfsema, I. Patrahau, M. Rademaker, Cobalt mining in the EU, Securing supplies and ensuring energy justice, Hague center for strategic studies, september 2022,
[5] A. Home, « Europe's Aluminium Output Slides as Energy Crunch Bites », Reuters, 25 mai 2022.
[6] S. Kivinen, J. Kotilainen et T. Kumpula, 2022, « Mining conflicts in the European Union: environmental and political perspectives », Fennia 198(1–2) 163–179.
[7] P. Mouterde, « Ouvrir de nouvelles mines en Europe, un pari risqué », Le Monde, 10 mai 2024.
[8] Audition de M. S. H. Emerman au Parlement européen sur les impacts environnementaux et sociaux de l’industrie minière, 2 décembre 2021.
[9] Ministère de l’économie, des finances, de la souveraineté industrielle et numérique, Simplification des procédures minières pour accélérer la transition énergétique et renforcer la sécurité d’approvisionnement française, Communiqué de presse n°1762, 12 avril 2024.