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Sécheresse, érosion des littoraux, vagues de chaleur, phénomènes climatiques violents : ces manifestations du réchauffement climatique présentent des risques pour l’Europe qui gagnent à être évalués en les croisant avec d’autres réalités. Les évolutions démographiques, en particulier, peuvent constituer des facteurs aggravants. Une large majorité de la population européenne vit désormais en zone urbaine (entre 2001 et 2018, la population urbaine a crû de près de 6 % tandis que la population rurale a décliné de 1,2%) et la part des personnes âgées tend à y augmenter. Les migrations internes aux États-membres bénéficient par ailleurs aux littoraux, pourtant davantage exposés aux risques climatiques.

Ce texte se rattache à une série d’articles issus d’une recherche soutenue par l’Institut pour la recherche de la Caisse des Dépôts sous la direction de François Bafoil et Gilles Lepesant sur les enjeux de l’adaptation au changement climatique. Ces travaux feront l’objet de la publication d’un rapport disponible sur le site de l'Institut pour la recherche.

 

Dans plusieurs pays (par exemple en Bulgarie, en Grèce, en Italie, en Espagne), les régions les plus affectées par les vagues de chaleur se trouvent être également les régions au PIB/habitant le plus faible voire des régions comptant la plus forte proportion de personnes âgées (en Grèce, en Italie, au Portugal notamment)[1]. Les territoires européens ne sont ainsi pas exposés avec la même intensité aux effets du réchauffement climatique, ce dernier risquant à l’échelle du continent d’alimenter le débat récurrent entre des régions du sud en quête de solidarité européenne et une Europe du nord moins vulnérable.

Des territoires européens affectés inégalement par le réchauffement climatique

En 2022, le mois d’octobre a été le plus chaud jamais enregistré en Europe[2]. Les deux-tiers du continent ont connu une sécheresse qualifiée « de pire sécheresse depuis 500 ans »[3]. Des températures plus élevées constituant des conditions favorables au déclenchement des incendies, une superficie de 700 000 ha a brûlé, chiffre sans précédent[4].

Une élévation des températures de 2,6° à 4,8° entre la période 1850-1900 et la période 2050-2100 est envisagée pour le continent européen[5]. Le nombre de citoyens exposés dans l’UE et au Royaume-Uni aux vagues de chaleur passera de 10 millions par an (moyenne relevée sur la période 1981-2010) à 300 millions, soit environ la moitié de la population. Dans un scénario 3°, une vague de chaleur intervenant de nos jours tous les 50 ans dans certaines régions d’Espagne et du Portugal, interviendrait chaque année dans ces mêmes régions, tous les trois ans dans la plupart des autres régions méditerranéennes et tous les cinq ans dans les autres régions européennes[6].

Le recul du trait de côte est patent dans plusieurs États-membres et les phénomènes de submersion deviennent plus fréquents, notamment en France, en Belgique, aux Pays-Bas ou encore dans le nord de l’Italie. En termes de gouvernance, la gestion des zones côtières relève généralement d’un grand nombre d’acteurs locaux, régionaux et européens. Or, toute action sur le littoral suscite des tensions entre des acteurs ayant des intérêts divergents sur le même territoire. Sur la côte adriatique italienne, l’engraissement des plages oppose ainsi les défenseurs de l’environnement et les acteurs du secteur du tourisme.

Figure 1. Part des pertes économiques assurées entre 1980 et 2020 (selon CATDAT).

Source : Agence européenne de l’environnement

Les premiers déplorent l’introduction de matériaux étrangers sur le littoral tandis que les seconds voient les bénéfices à tirer d’une préservation des plages[7].  Au Portugal, 70 plages (sur près de 200) risquent de disparaître du fait de l’érosion. Plusieurs constructions situées sur le littoral ont dû être détruites en raison des processus d’érosion[8], provoquant des tensions locales.

Moins exposé[9], le nord de l’Europe n’est pas pour autant épargné par le réchauffement. Le secteur agricole pourrait en bénéficier mais les villes côtières, où se concentre une large partie du potentiel économique, ont lancé des stratégies d’adaptation[10] et les parcs éoliens de la mer du Nord pourraient voir leur rentabilité réduite dans le cas d’une modification du régime des vents.

Face aux conséquences humaines et économiques, des systèmes d’assurance disparates

Selon les deux principales bases de données qui font autorité et sur lesquelles s’appuie l’Agence européenne de l’environnement, le nombre de victimes s’est élevé entre 1981 et 2020 à 85 000 selon NatCatSERVICE[11] et à 145 000 selon CATDAT[12]. Comme une confirmation que les vagues de chaleur sont l’aléa le moins spectaculaire mais le plus mortel, 85% des décès recensés ont été provoqués par des canicules. Les pertes économiques liées aux phénomènes climatiques ont, elles, été estimées entre 1980 et 2020 à environ 500 milliards € dans les 32 pays membres de l’EEE (Espace économique européen).

Selon le Centre Commun de recherche de la Commssion européenne[13], une action climatique limitant le réchauffement à 1,5° permettrait par rapport à un scénario 3° d’éviter 60 000 décès prématurés chaque année en Europe et des pertes de 20 milliards imputables à la sécheresse. Les dommages causés par les crues pourraient être réduits de moitié et les pertes subies le long des littoraux pourraient être réduites de 100 milliards € par an en 2100. C’est aussi à l’aune de tels chiffres que le coût de l’action climatique doit être évalué.

Face aux enjeux économiques et financiers, peu de pays ont adapté un système de couverture des risques comparable au système français dans lequel sont associés pouvoirs publics et assureurs. Dans la plupart des États-membres, le risque est le plus souvent couvert par la puissance publique (notamment en cas de catastrophe) ou par les particuliers. À l’échelle européenne, la moitié des compagnies d’assurance n’a pas fait d’évaluation des implications du réchauffement climatique sur le modèle d’affaire[14]. Une prise de conscience se manifeste néanmoins, la principale préoccupation concernant les crues dont les conséquences sont de plus en plus difficiles à couvrir pour certains assureurs.

Vers une politique européenne d’adaptation au réchauffement climatique ?

Dans le cadre du Pacte vert, la Commission européenne a présenté en février 2021 une nouvelle version de sa Stratégie d’adaptation au changement climatique[15] (dont la première version remonte à 2013). La Commission a notamment pointé le manque d’articulation dans plusieurs États-membres entre les différents échelons de gouvernance, le faible montant des ressources allouées, le manque de synergies entre services de secours et organismes publics en charge de l’adaptation ainsi que le manque de prise en compte de la dimension sociale de la politique d’adaptation, les populations les plus vulnérables n’étant pas suffisamment ciblées[16].

Dans sa Stratégie 2021, la Commission a par ailleurs annoncé le lancement une série d’examens des risques climatiques (EUCRA - EU-wide climate risk assessment). Le premier EUCRA, préparé conjointement par la Commission et l’Agence européenne de l’environnement, sera soumis en 2024 et d’autres EUCRA sont prévus tous les cinq ans[17]. En outre, parmi les cinq Missions Europe lancées récemment dans le cadre de la politique recherche-innovation, une Mission sur l’adaptation visant à assister 150 municipalités et régions en Europe à améliorer leur résilience face au changement climatique a été initiée[18].

Conformément aux engagements européens, la quasi-totalité des États a mis en place des stratégies d’adaptation mais l’appropriation de cette thématique par les gouvernements centraux et locaux varie sensiblement d’un pays à l’autre. Plusieurs directives abordent néanmoins indirectement les enjeux du réchauffement climatique.

Consacrée à la fois aux eaux souterraines et aux eaux de surface, la Directive-cadre sur l’eau (2000) promeut ainsi une approche écosystémique centrée sur la gestion de l'eau à l'échelle des bassins hydrographiques. Afin d’encourager une utilisation durable de l'eau, la Directive prévoit que chaque État-membre mette en place un système d'autorisation et un registre pour les captages d'eau[19] et qu’il adopte une politique de tarification de l'eau qui reflète les coûts réels[20]. La Directive Inondation 2007/60/EC, mise en œuvre en 2007, invite par ailleurs les États-membres à cartographier les risques d’inondation.

Si le recul manque pour apprécier toute la portée du texte (la mise en œuvre effective ne remonte qu’à 2016), force est de constater que la Commission comme les États-membres ont tardé à prendre la mesure de l’ampleur des crues dans le cadre du changement climatique. Dans plusieurs crues survenues ces dernières années, les périmètres configurés se sont avérés trop restrictifs au regard du débordement constaté des fleuves (notamment en Belgique lors des crues de l’été 2021). Une vision plus large s’impose. Végétaliser les sols en zone urbaine, limiter l’étalement urbain, améliorer le rôle d’éponge des sols agricoles, aménager des zones d’inondation volontaire là où le bâti ne constitue pas un obstacle dirimant constituent autant d’options pour lesquelles les obligations pourraient être plus précisément établies.

Figure 2. Dispositifs "naturels" permettant de retenir l'eau afin d’en améliorer la qualité et de limiter les conséquences des crues

Source : Cour des comptes européenne, op. cit.

Concernant les risques croissants de pénurie d’eau, l'UE a adopté en mai 2020 un règlement sur la réutilisation des eaux usées destinées à l'irrigation[21] qui fixe des exigences minimales en matière de qualité et de gestion des risques. Selon la Commission européenne, ce règlement (qui s’appliquera à compter de juin 2023) permettra de réutiliser plus de 50 % du volume total d'eau théoriquement disponible provenant des stations d'épuration de l'UE[22].

L’agriculture étant responsable de 24 % de l'ensemble des captages d'eau[23], le rôle de la PAC (Politique agricole commune) est central. La gestion durable des ressources naturelles (y compris l'eau) constitue l'un des trois objectifs stratégiques de la PAC 2014-2020 et cette dimension a encore été renforcée dans la PAC pour la période 2021-2027. Un recours raisonnable à l’irrigation est promu mais dans les faits, les exemptions prévues par les textes comme la rareté des contrôles opérés par les États-membres limitent la portée des intentions exprimées.

Le pourcentage de terres irriguées passant à des systèmes d'irrigation plus économes en eau est très faible à l’échelle de l'UE. En 2017, la Cour des comptes européenne ne releva par ailleurs de changements dans les pratiques agricoles que sur 5 % de l'ensemble des terres agricoles[24]. L'UE soutient par ailleurs des cultures nécessitant de grandes quantités d’eau sans restriction géographique, y compris par conséquent dans les zones en situation de stress hydrique. Au final, tant la PAC que la politique de développement rural comportent des dispositions soutenant une utilisation durable de l’eau mais les implications du réchauffement climatique semblent encore sous-évaluées.

Conclusion

Le changement climatique transforme peu à peu le paysage européen, notamment ses littoraux et son paysage agraire. Les évolutions ne sont néanmoins pas les mêmes partout, certains pays étant davantage affectés, en particulier ceux du sud de l’Europe. Le changement climatique dramatise ainsi l’une des césures du continent européen, en l’occurrence celle qui distingue les régions du nord les plus riches des régions du sud les moins avancées. Cette césure était notamment réapparue à la faveur de la crise financière de 2008.

Elle risque d’être réactualisée pour deux raisons. D’une part, le changement climatique fragilise les piliers du développement des régions du sud, à savoir l’agriculture et le tourisme de masse (centré sur les littoraux) sans que les pouvoirs centraux concernés ne semblent en mesure d’initier des modèles de développement alternatifs. D’autre part, il appelle à terme une nouvelle solidarité au profit du sud à laquelle les pays du nord, moins affectés par le changement climatique (notamment pour ce qui concerne l’élévation du niveau des mers et la hausse des températures) pourraient être réticents.

 

Du même auteur

Le modèle agricole espagnol à l’épreuve du changement climatique

- Les Pays-Bas face au risque de submersion

 

Notes

[1] Agence européenne de l’environnement, 2018, Unequal exposure and unequal impacts: social vulnerability to air pollution, noise and extreme temperatures in Europe, EEA Report No 22/2018.

[2] Copernicus, 2022, Surface air temperature for October 2022, https://climate.copernicus.eu/surface-air-temperature-october-2022, Consulté le 18.11.2022.

[3] Ibid.

[4] European Forest Fire Information System, Statistical Portal, https://effis.jrc.ec.europa.eu/apps/effis.statistics/. Consulté le 12.11.2022.

[5] Guerreiro S., Dawson R., Kilsby C., Lewis E., Ford A., 2018, « Future heat-waves, droughts and floods in 571 European cities », Environmental Research Letters, Volume 13, Number 3.

[6] Ibid.

[7] Prati G., Albanesi C., Pietrantoni L., Airoldi L., 2016, « Public perceptions of beach nourishment and conflict management strategies: A case study of Portonovo Bay in the Adriatic Italian Coast », Land Use Policy, vol. 50, pp. 422-428.

[8] Bellamy D. et Soares F., 2018, « Portugal to demolish buildings threatened by coastal erosion », Euronews, 10/11/2018.

[9] Sous l’effet du rebond glaciaire, une partie du littoral de la Finlande et de la Suède s’élève à un rythme supérieur à celui de la hausse du niveau de la mer.

[10] Peltonen L., Haanpää S. et Lehtonen S., 2006, The challenge of climate change adaptation in urban planning, Finadapt Working Paper n°13, Agence finlandaise de l’environnement.

[11] Base de données mise au point par Munich Re GmbH.

[12] Base de données mise au point par RiskLayer GmbH.

[13] Cammalleri C., Naumann G., Mentaschi L., Formetta G., Forzieri G., Gosling S., Bisselink B., De Roo A., et Feyen L., 2020, Global warming and drought impacts in the EU, JRC PESETA IV project – Task 7, Centre de Recherche Commun, Commission européenne.

[14] EIOPA (European Insurance and Occupational Pensions Authority / Autorité européenne des assurances et des pensions), 2022, European insurers’ exposure to physical climate change risk, Potential implications for non-life business, 22/278 20 mai.

[15] Commission européenne, 2021, Forging a climate-resilient Europe, COM/2021/82 final.

[16] Commission européenne, 2018, Evaluation of the EU Strategy on adaptation to climate change, SWD(2018) 461 final.

[17] Agence européenne de l’environnement, 2022, Advancing towards climate resilience in Europe — Status of reported national adaptation actions in 2021, EEA report, 11/2022.

[18] Commission européenne, 2021, EU Missions. Adaptation to climate change: concrete solutions for our greatest challenges, Publications Office of the European Union, Luxembourg, https://op.europa.eu/en/ publication-detail/-/publication/a48e0115-2658-11ec-bd8e- 01aa75ed71a1/language-en/format-PDF/source-233489850. Consulté le 14.12.2022.

[19] Directive 2000/60/CE, article 11, paragraphe 3, point e).

[20] Directive 2000/60/CE, article 9.

[21] Règlement (UE) 2020/741 du Parlement européen et du Conseil du 25 mai 2020 relatif aux exigences minimales applicables à la réutilisation de l'eau (JO L 177 du 5.6.2020, p. 32-55).

[22] Commission européenne, 2018, document SWD 249 final/2 - 2018/0169 (COD).

[23] Agence européenne de l'environnement, 2020, Water and agriculture: towards sustainable solutions, Rapport n° 17/2020.

[24] Cour des comptes européenne, 2021, La PAC et l'utilisation durable de l'eau dans l'agriculture, des fonds davantage susceptibles d'encourager à  consommer plus qu'à  consommer mieux, Rapport spécial.