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Rafraîchir nos villes pour éviter de les déserter, tout en préservant nos écosystèmes. C’est l’essence des Solutions d’adaptation fondées sur la Nature. Panorama d’initiatives éprouvées ou émergentes, en France et en Europe.

Et si nous repensions la place de la nature dans nos espaces urbains ? Démontrés, les cobénéfices des solutions vertes sont nombreux, tant pour le climat et la biodiversité, que pour le vivre-ensemble, notre confort et notre santé globale.

Renaturer, c’est aussi réhumaniser. 
Invitation à rendre nos villes vivantes, apaisées et respirables.
 

Appuyons-nous sur le local

Les stratégies de rafraîchissement sont plus ou moins efficaces et applicables. Elles se développent dans l’articulation des échelles d’action, de la ville au piéton, selon une approche dynamique (jour, nuit, saison)[1]. « Il nous faut composer avec les autres solutions grises et douces, selon le contexte et l’échéance temporelle », conseille Robert Bellini, Responsable du pôle Adaptation au Changement climatique de l’ADEME.

Une multitude d’enseignements réside dans les particularités locales. Démarrons toujours par la prise en compte de l’existant – conditions climatiques actuelles et projections futures, reliefs, patrimoines construits, historiques et naturels, sociologie du territoire, etc. Choisissons des plantes indigènes adaptées au climat, consommant peu d’eau et réclamant peu d’entretien. La Marque Végétal local est un outil de traçabilité des végétaux sauvages et locaux, créée par l’Office Français de la Biodiversité (OFB). Évitons la précipitation, certaines plantes fragiles sont difficiles à intégrer aux projets.

Favorisons le coopératif

La coopération démultiplie les impacts positifs. Associons des compétences spécialisées : écologues, climatologues, hydrologues, spécialistes de la biodiversité, paysagistes, urbanistes… Le décloisonnement des services de la ville et du territoire permet une efficacité accrue en termes de conception, financement, coût et entretien des projets d’aménagement autour du végétal. Le projet Life intégré ARTISAN vise à accroître la résilience des territoires au changement climatique. Financé par la Commission européenne à 60 %, il est piloté par l'OFB. Doté d’un démonstrateur de dix sites pilotes, le projet dispose d’un animateur dans chaque région ou sous-région, pour faciliter l’essaimage des ressources et la planification territoriale.

CDC Biodiversité finance la recherche et la mise en place d’actions concrètes de restauration et de préservation de la biodiversité, notamment via « Nature 2050 ». Ce programme, déployé sur différents territoires, comprend un volet biodiversité en ville. Il s’appuie sur un partenariat avec le Museum National d’Histoire Naturelle, la LPO France (Ligue de Protection des Oiseaux), France Nature Environnement et la Fondation pour la Nature et l’Homme. De façon générale, la solidité des initiatives est pérennisée par le dialogue interacteurs - scientifiques, publics, privés, sociaux.

Cultivons le participatif

Engagement citoyen rime avec réussite sur le terrain. Un meilleur respect des projets est observé sur la durée. Budgets participatifs, chartes collectives, guides pratiques et campagnes ouvertes sont des leviers utiles. Les jardins ouvriers, familiaux, partagés ou communautaires ont le vent en poupe. Un nombre florissant de collectivités essaiment des permis de végétaliser : Strasbourg ça pousse, Ma rue en fleurs à Nantes, Visa vert à Marseille, Jardinons nos rues à Grenoble, Jardins de poches à Saint-Priest… En outre, le numérique peut se mettre au service du participatif.

Porter un autre regard sur les « Sauvages de ma rue » ? C’est l’un des objectifs d’un programme de sciences participatives, développé par le Museum National d’Histoire Naturelle. Il repose sur un appel aux citadins à observer les plantes « dans les brèches urbaines » des villes de France métropolitaine et de Belgique. Hortilio est une nouvelle plateforme collaborative de jardinage écologique, née de la rencontre entre CDC Biodiversité et la startup JAYA.  Elle fournit de nombreuses ressources pour jardiner de façon écoresponsable : encyclopédie d’essences locales, rappels d’entretien, conseils personnalisés, indicateurs de biodiversité, forum d’échanges au sein de la communauté, etc. À l’échelle de la ville, les réseaux d’acteurs mixtes peuvent s’avérer facilitateurs d’initiatives citoyennes. À Lille par exemple, Naturalille regroupe une vingtaine de structures municipales et associatives.

Éveillons une culture du vivant dès l’enfance

Les jardins pédagogiques rafraîchissent écoliers et enseignants. Et s’appuyer sur le vivant favorisent les apprentissages. Parmi les précurseurs, la Ville de Lille a végétalisé 100% des cours d’écoles (au minimum un tiers de leur surface). C’est l’une des grandes Métropoles Européennes ayant adopté une stratégie climat globale. Plus récemment, Strasbourg a rejoint le rang des cours qui sèment. Le colloque du même nom partage des connaissances techniques, conseils pratiques et retours d’expériences multi-acteurs. Des initiatives similaires peuvent se décliner à l’échelle du quartier. Le projet « Collèges verts pour mon quartier », à Marseille, bénéficie du fonds « Nature 2050 ». Les extérieurs de deux collèges sont transformés en un espace de nature, ouvert aux habitants.

Rendre les écoles « climato-résistantes ». À Anvers, en Belgique, tout établissement scolaire peut devenir une « EcoSchool » et bénéficier d'un accompagnement intensif de 3 ans, pour élaborer et mettre en œuvre un plan d’actions sur différents volets écologiques. La Ville fournit une prime climatique, allant jusqu’à 30 000 € par école. Les travaux permettent, notamment, la désimperméabilisation de la cour et sa végétalisation.

Climatisons par les arbres

De 2°C à 8°C de moins ![2] Tels sont les écarts relevés entre une zone arborée ou non. Par l’effet d’ombrage et l’évapotranspiration, l’arbre agit tel un « petit climatiseur », décrit Carly Ziter, professeure de biologie. Pour son étude, elle a parcouru une ville à vélo équipé de stations météorologiques. La température de l'air en journée était considérablement réduite : « avec une plus grande couverture de canopée (≥40%) à l'échelle d'un pâté de maisons typique (60-90 m) »[3]. Si l’idée des micro-forêts urbaines peut être séduisante, attention aux fausses solutions et au greenwashing.

Planter un arbre par habitant. L’initiative essaime, portée par des collectivités pionnières. Icade adopte cette démarche pour toute nouvelle résidence construite, dont le permis est déposé à partir de 2022. Cependant, la pérennité des arbres en ville reste un défi. Les problèmes viennent fréquemment des choix d’essences et de la gestion des sols (qualité et volume). Chaque arbre a des besoins et fonctionnalités spécifiques, en fonction de son essence, sa morphologie, sa taille, son âge. « Il faut planifier l’expansion du système racinaire et de ses besoins en nutriments et en eau pendant toute la vie des arbres plantés », préconise Alison Munson, chercheuse en écologie urbaine.

Soutenons nos trames

Les trames affectent le phénomène d’îlot de chaleur urbain (ICU). La Trame verte et bleue (TVB) est essentielle pour allier préservation de la biodiversité et aménagement du territoire. Pour accompagner les collectivités, le ministère de l’Écologie a édité un guide méthodologique. Il fait état des possibilités offertes par les documents d’urbanisme. L’ADEME, CDC Biodiversité et le Cerema apportent de nombreuses pistes d’actions valorisant les trames, à travers des fiches pratiques, guides méthodologiques et études phares. Pour intégrer la nature dans les espaces urbanisés à l’échelle régionale, la Région Grand Est a dressé un guide de mise en œuvre des outils mobilisables, dans les documents de planification et de gestion des territoires. Toutes les trames sont interconnectées.

Protéger près d’un tiers des vertébrés et deux tiers des invertébrés ? C’est possible avec la « trame noire », demeurant trop souvent négligée. Objectif : préserver la biodiversité nocturne de la pollution lumineuse (vivant en partie ou exclusivement la nuit). Quant à la « trame brune », elle concerne la continuité des sols. Ressource fragile, elle mériterait d’être davantage intégrée aux documents d’urbanisme. Des engagements contractuels peuvent soutenir sa mise en œuvre. Pourquoi nos sols ont-ils une valeur écosystémique ?

Revalorisons la richesse des sols

Le sol nous rend de multiples services. Préservation du vivant, fonctionnement des cycles de l’eau et des nutriments, absorption et stockage du carbone, lutte contre les pollutions de l’air et de l’eau, santé des végétaux... « Les projets d’aménagement gagneraient à questionner sérieusement l’avenir qu’ils réservent au sol », recommande Robin Chalot, ingénieur écologue, urbaniste[4]. Et si la pleine terre était considérée comme une « option par défaut » ? À Marseille par exemple, le déménagement d’un site hospitalier a donné naissance à un nouveau quartier résidentiel, préservant un riche patrimoine naturel. « Seconde Nature » a conservé plus de 60% du terrain en espaces libres paysagers, majoritairement en pleine terre. Attention : « Il est infiniment plus simple, moins cher et moins dommageable pour l’environnement de conserver les écosystèmes existants, que de tenter de les réparer après leur destruction », prévient Robin Chalot. Des expérimentations autour du ZAN, « zéro artificialisation nette » sont en cours. Elles stimulent les réflexions des territoires pour réduire au maximum l’artificialisation des sols.

Pour regagner en fraîcheur, il sera nécessaire de renaturer. La renaturation est un processus long qui peut impliquer : « une déconstruction, une dépollution, une désimperméabilisation, la construction de technosols indispensables à la végétalisation et enfin, une reconnexion fonctionnelle aux écosystèmes naturels environnants »[5] . Pour créer un espace naturel et un îlot de fraîcheur ouvert au public, la Ville de Sevran a fait de la Friche Kodak, l’un des sites pilotes du programme « Nature 2050 ». Le challenge est à la fois écologique et social. Il requiert l’acceptation citoyenne, pour que la zone soit gérée différemment d’un parc urbain. À Paris, la requalification de la Porte de Montreuil en quartier décarboné est une 1e mondiale. Des îlots de fraîcheur sont prévus par la renaturation massive du site. L’esplanade piétonne comptera 300 arbres. Différentes méthodes s’appliquent selon les contextes. « Nous identifions les ICU pour apporter des solutions de réaménagement basées sur la nature.  Pour une stratégie de renaturation cohérente, nous diagnostiquons d’abord les terrains. Nous les trions en fonction de la vulnérabilité, de la mutabilité et de l’accessibilité pour les citoyens », explique Valentin Caillavet, cofondateur de Natura City.

Verdissons nos toits

Les toits avant les murs. A l’échelle du bâti, la végétalisation des toitures est la solution verte qui a le potentiel de rafraîchissement le plus élevé. Un « toit vert » contribue aussi à la rétention des eaux de pluie et au confort acoustique. Adaptons la palette végétale aux conditions locales et à la hauteur du substrat, qui est dépendante de la structure porteuse. À l’échelle de l’îlot, des études ont montré que la multiplication de toitures végétalisées sur plusieurs bâtiments adjacents peut avoir un effet positif sur l’air ambiant des rues. La combinaison des toitures vertes et des façades végétales décuple les effets, selon l’ADEME. La fraîcheur générée par le toit horizontalement est conduite verticalement jusqu’au sol.

Inspirons-nous des voisins européens. Pionnière, l’Allemagne a fortement subventionné les toitures végétalisées, dès les années 1960. Plus de 1,5 million de m2 seraient réalisés par an. A Stuttgart, les toits verts sont imposés dans les plans de développement locaux. En Belgique, la Région flamande et celle de Bruxelles-Capitale offrent des subventions aux villes. En Suisse, de nombreuses communes ont opté pour la méthode incitative de taxe d’imperméabilisation des sols. Les projets intégrant des techniques de rétention d’eau, telles que les toits verts en sont exonérés.

Jouons avec notre élément : l’eau

La ville perméable est devenue désirable. Recréons des petits cycles naturels de l’eau. Bienfaisants pour notre physiologie, ils le sont aussi pour les risques de ruissellement des eaux pluviales, des débordements des réseaux et d’inondations. Emménageons des « jardins de pluie » et redonnons vie aux cimetières, comme à Meudon. En déminéralisant et en laissant l’eau s’infiltrer, la Ville lutte contre les effets de ruissellement. L’éco-gestion est devenue cruciale. De nombreux éléments sont à (re)questionner, comme le bon usage et l’entretien des réseaux, la valorisation des pluies et l’aménagement paysager (bassins, noues, etc.), la restauration de zones humides, la réhabilitation des rives et l’accès à des points d’eau par les citadins.

Retrouvons nos cours d’eau oubliés lorsque c’est possible. C’est le cas à Arcueil, Haÿs-les-Roses ou aux Aygalades. À Bordeaux, l’ÉcoQuartier Ginko se veut une « cité jardin aquatique ». Elle met en valeur les Berges du Lac au profit des riverains. La création de trois canaux offre une continuité de l’eau. Les surfaces perméables représentent 40% du total du quartier. La Roche-sur-Yon a été élue, en 2021, Capitale française de la Biodiversité sur le thème de l’eau. Son action de restauration et de protection des cours d’eau et des zones humides a notamment été soulignée. Élue en 2019, sur le thème « Climat : la nature source de solutions », la Métropole de Lyon a adopté une série de mesures complémentaires : son projet « Ville perméable », son « plan CANOPÉE » pour le maintien et la plantation d’arbres, son « plan Nature » pour la renaturation des copropriétés…

Ces illustrations incarnent des potentiels de rafraîchissement, autant que des initiatives pour nous reconnecter au vivant. La résilience de nos villes au réchauffement climatique est entre nos mains.

 

 

Ce billet est la version longue d'un article paru dans le mook  Adapter/Adaptez, des solutions pour les territoires face au changement climatique.

Cette publication de la Caisse des Dépôts fait suite à un cycle de recherche sur l’adaptation au changement climatique des territoires, dirigé par l’Institut pour la recherche de la Caisse des Dépôts avec l’appui de 5 think tanks : la Fondation Jean-Jaurès, la Fondation pour l’innovation politique, Terra Nova, La Fabrique Écologique et le Comité 21.

 

 

 

Il retrace deux ans d’une collaboration au plus près des territoires, Nîmes, Marseille, Paris, La Bresse, Noirmoutier, pour découvrir les solutions déjà mises en place ou à mettre en place pour s’adapter aux nouveaux risques  :
- chaleur en ville
- circuits courts et écologie industrielle
- épisodes météorologiques extrêmes, inondations et aménagement
- érosion du trait de côte 
- perte d’enneigement en moyenne montagne
- ressource en eau et conflits d’usages
- forêts et réchauffement
- modèle assurantiel face aux risques climatiques.

 

Notes

[1] ADEME, Rafraîchir les villes : des solutions variées, mai 2021.

[2] Carly Ziter (étude). Jean-Jacques Terrin (dir.). Voir biblio.

[3] Étude réalisée à Madison, Wisconsin, États-Unis (climat tempéré).

[4] Article Robin Chalot. Voir bibliographie.

[5] Ministère de la Transition écologique, « Retourner à la terre : désimperméabiliser et renaturer », fiche outil.

 

Bibliographie

Articles et ouvrages scientifiques

Chalot, R., Écologie et urbanisme : comment les experts du vivant peuvent-ils contribuer à la conception du cadre urbain ?, VertigO - la revue électronique en sciences de l'environnement [En ligne], Débats et Perspectives, mis en ligne le 18 novembre 2015, consulté le 23 juillet 2022. ; DOI : https://doi.org/10.4000/vertigo.16561

Dusza, Y., Toitures végétalisées et services écosystémiques : favoriser la multifonctionnalité via les interactions sols-plantes et la diversité végétale. Ecologie, Environnement. Université Pierre et Marie Curie - Paris VI, 2017. 

Hawver, G.A., Bassuk, N.L. Soils: The Key to Successful Establishment of Urban Vegetation. In: Kuser, J.E. (eds) Urban and Community Forestry in the Northeast. Springer, Dordrecht. 2007. 

Munson, A., Comment prendre soin du sol et de la terre pour favoriser le verdissement en ville, The Conversation, publié le 10/08/2021, consulté le 24/07/2022. 

Oberndorfer, E., Lundholm, J., Bass, B., Coffman, R.R., Doshi, H., Dunnett, N., Gaffin, S., Köhler, M., Liu, K.K.Y. & Rowe, B. Green roofs as urban ecosystems: Ecological structures, functions, and services. BioScience (57). 2007.

Terrin, J.-J. (dir.), Jardins en ville, villes en jardin, Marseille, Parenthèses, 2013.

Terrin, J.-J. (dir.), Villes et changement climatique, Parenthèses, 2015.

Ziter, Carly D., Scale-dependent interactions between tree canopy cover and impervious surfaces reduce daytime urban heat during summer Contributed by Monica G. Turner, February 19, 2019 (sent for review October 22, 2018; reviewed by Mary L. Cadenasso and G. Darrel Jenerette), March 25, 2019, 116 (15) 7575-7580.

 

Références institutionnelles

AdaptaVille, Agence Parisienne du Climat. 

ADEME, outil ARBOClimat

ADEME, Rafraîchir les villes : des solutions variées, mai 2021.

ADEME, Les Volets thématiques de l’AEU2 – Les écosystèmes, Éditions du Moniteur, 2016.

ADEME, Aménager avec la nature en ville, 2018/ URL : https://librairie.ademe.fr/urbanisme-et-batiment/1170-amenager-avec-la-nature-e…

CDC Biodiversité, Biodiv’2050 – Végétalisation du bâti et biodiversité, Novembre 2017 / Numéro 13.

CDC Biodiversité, Publications Nature en ville.

Cerema, Désimperméabilisation et renaturation des sols – série de fiches.

Cerema, Nature en ville – série de fiches.

Cerema, Une plateforme d’aide à la décision pour mettre en œuvre les Solutions Fondées sur la Nature, 29/04/2022, Consulté en août 2022.

Ernst & Young et Associés, Étude pour la définition d’une démarche de développement des toitures végétalisées, Nice Côte d’Azur, Direction de l’Environnement, 2009.

Ministère de l’Écologie, du Développement durable et de l’Energie, Trame verte et bleue et documents d’urbanisme – Guide méthodologique, Août 2014. 

Nature4cities. URL : https://www.nature4cities.eu/le-projet

Office français de la biodiversité (OFB). Projet Life ARTISAN sur les Solutions d'adaptation au changement climatique fondées sur la Nature. Page Documentation (rapports, ressources, outils…). 

Plante et Cité, Guide de recommandations : Prescriptions techniques sur l’achat de végétaux sauvages d’origine locale, 2017.