Construire la résilience des territoires par des dynamiques de coopération des acteurs de la transition

Face à l’urgence écologique et sociale qui exige une transformation de notre modèle de société, comment conduire un changement durable du territoire dans toutes ses dimensions, sociale, économique, écologique, culturelle, qui soit porteur de résilience ? Qu’est ce qui fait une dynamique collective de transition ? Qu’est ce qui fait marcher la coopération, comment s’impliquent les citoyens ? Sur quelle culture entrepreneuriale construire, comment mesurer une valeur ajoutée sociétale ? C’est pour tenter de répondre à toutes ces questions, que le Labo de l’ESS a lancé en septembre 2018 une "étude action" ambitieuse pilotée par Odile Kirchner, ancienne Déléguée interministérielle à l’ESS, visant à faire dialoguer la diversité de dynamiques collectives territoriales de transitions, jusqu’alors dispersées, sans synergie entre elles, afin de capitaliser la richesse de leurs expériences.

Le rapport final de cette étude intitulée « Dynamiques collectives de transitions dans les territoires », soutenue par l’Institut pour la recherche de la Caisse des Dépôts en lien avec la Banque des Territoires, vient d’être publié. Il apporte des réponses et des propositions concrètes à ces questions en s’appuyant sur dix-sept monographies locales.
Au fil des prochaines semaines, nous vous proposons de mettre en lumière sur le blog quelques-unes de ces initiatives pionnières.
 

La Chantrerie : un territoire du faire-ensemble

En 2008, alors que la zone d’activités de la Chantrerie, au nord de Nantes, n’a pas d’histoire, alors que personne ne se parle sur le site, un établissement public émet l’idée d’un projet de chaufferie bois et de réseau de chaleur, avec l’intérêt économique[1] comme entrée principale. Par un concours de circonstances, les établissements publics impliqués dans ce projet décidaient de créer en mai 2010 une association privée : l’AFUL Chantrerie[2]. Avec un rythme soutenu et l’appui ponctuel de Nantes Métropole, l’installation était mise en fonctionnement en septembre 2011, dans les temps, dans les coûts et dans les performances.

Fort de ce premier projet réussi, les établissements de l’AFUL Chantrerie constataient qu’ils avaient été en capacité de réaliser par eux même un projet ambitieux et en tiraient une certaine fierté. D’autre part, ils avaient pris un certain plaisir à se connaitre, à faire ensemble. Conséquence, ils avaient envie d’aller plus loin sur d’autres projets.

De son côté, la collectivité prenait acte qu’un collectif d’acteurs avaient réussi, avec succès, à porter un projet qui, en temps normal, relevait d’une politique publique.

Cette histoire est en partie à l’origine du programme d’action-recherche partenarial Transition Energétique & Sociétale (TES) : « favoriser l’émergence de projets collectifs, portés par la société civile (entreprises, habitants, agriculteurs), en articulation avec les politiques publiques d’une collectivité (intercommunalité/communes, métropole) engagée en matière de transition sociétale. »

En 2020, 10 ans après la création de l’AFUL Chantrerie, le bilan est intéressant à plusieurs titres :

  • L’AFUL Chantrerie regroupe désormais une vingtaine d’organisations (privées, publiques, avec également l’association des habitants vivant sur le site) dont la moitié sont raccordées au réseau de chaleur ;
  • L’association s’articule autour de 6 commissions thématiques : énergie, mobilité, agriculture, convivialité, déchets et sécurité. Des « premières » nationales, régionales ou métropolitaines ont été réalisées, comme par exemple le projet de boucle énergétique locale MINERVE, la gestion des déchets organiques de 7 restaurants, le déploiement d’une application de covoiturage…, avec à chaque fois des partenaires facilitateurs : Nantes Métropole, l’ADEME, la Région des Pays de la Loire, la DREAL PDL… ;
  • Les membres de l’associations se rencontrent tous les 3 mois, lors d’un petit-déjeuner, dans une ambiance de convivialité et de recherche de sens : « imaginer et expérimenter les modes de vie de demain au regards des enjeux écologiques, sociaux et démocratiques qui se font jour de manière de plus en plus prégnante »[3].
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La création et le développement de ces projets, de cette dynamique collective ont été porté principalement par le directeur de l’AFUL Chantrerie[4], salarié d’un des établissements du site qui a accepté de mettre ce temps au service du collectif, du « bien commun ».

En 2017, le directeur annonçait son départ pour octobre 2020. Ce beau projet collectif allait-il survivre au départ de son « créateur » ? Quel serait alors le profil du prochain directeur pour cette phase de consolidation et d’élargissement à engager auprès des membres de l’AFUL Chantrerie ?

Le directeur a proposé de procéder à une élection sans candidat, après avoir formalisé ensemble une liste de critères et de compétences attendues : « bizarre disaient certains, découvrant le principe, intéressant soulignaient d’autres ». Les 3 personnes plébiscitées issues de cette démarche ont finalement décliné la proposition, pour des raisons principalement liées à la crainte de « ne pas être à la hauteur » de la tâche.

Il fallait donc créer les conditions pour rassurer !

Pour réussir cette passation de témoin, plusieurs dispositifs ont été mis en place par le directeur :

  • La création d’un « bureau » pour faire émerger une direction partagée, en appui du directeur ;
  • La montée en puissance des pilotes de commission pour gagner en autonomie ;
  • Le recrutement d’une personne en charge de la gestion et du développement, à 80% ETP, pour soulager le temps passé par le directeur, le bureau et les membres de commission. Le support budgétaire de ce recrutement est issu de 3 sources principales : les cotisations, les frais de gestion de l’énergie, l’animation pour le covoiturage.

Avec cette nouvelle organisation, un des membres de l’AFUL Chantrerie a accepté de prendre la direction … en octobre 2020. Cette nouvelle phase qui s’ouvre se fera différemment, beaucoup plus en mode gouvernance partagée, mais elle se fera !

 

Si on devait retenir les principaux enseignements de cette aventure, on pourrait souligner :

 

  • L’importance du premier projet, en partant de l’intérêt (économique ici) des personnes et des organisations, moteur de la mise en dynamique ;
  • La manière dont ce premier projet est conduit : organisation, convivialité, transparence, professionnalisme…, ferments de la création de confiance ;
  • Le sens donné à cette dynamique collective, pour aller plus loin, pour un projet plus grand que soi ;
  • L’importance, à un moment donné, de passer à un « leadership » partagé.

 

Cette approche est aujourd’hui partagée avec d’autres zones d’activités entreprises, en région des Pays de la Loire, dans le cadre du programme partenarial Transition Energétique & Sociétale porté par le Collège des transitions sociétales[5] et trente organisations de la région.

 

 

[1]     Le prix du baril est alors de 140 $ et la question climatique n’est pas encore l’urgence du moment

[2]     L’Association Foncière Urbaine Libre (AFUL) est une Association Syndicale Libre (ASL), constituée de propriétaires

[3]     En 2013, les membres de l’AFUL Chantrerie ont adopté une Charte en ce sens

[4]     Bernard LEMOULT, directeur de recherche à IMT Atlantique, directeur du Collège des transitions sociétales