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Crédit ©CDC Biodiversité – Isabelle Jullien
Objet de discussion au sein des différents services soumis cette année à son application, la généralisation du « budget vert » fait l’objet d’une rapide appropriation par les collectivités territoriales. La France peut s’en féliciter, la mise à niveau des enjeux financiers et environnementaux a bel et bien débuté. À ce titre, elle se donne les moyens d’atteindre la cible 18 des accords de Kumming-Montréal ratifié en 2022 (identifier d’ici 2025 puis réduire progressivement à hauteur de 500 milliards de $ par an à l’échelle mondiale les subventions néfastes et augmenter les subventions positives). Mais une question demeure : la mise en place du budget vert est-elle suffisante pour guider les acteurs publics dans l’identification et la réorientation de ces financements ?
Une évaluation environnementale du budget vise à qualifier l’ensemble des dépenses en fonction de leurs impacts sur l’environnement, notamment sur la contribution de ces dernières à l’atténuation du changement climatique ou à stopper l’érosion de la biodiversité. Ses résultats sont mobilisés comme des outils d’aide à la décision en mettant en lien les dépenses avec des objectifs environnementaux qui sont identifiés au préalable.
La France est leader sur ce sujet avec une première réalisation du « budget vert » appliquée au périmètre de l’État en 2019. Elle constitue à l’échelle mondiale, le premier travail d’analyse de la compatibilité du budget national avec des cibles environnementales. Il permet ainsi une mise en lien direct entre l’ensemble des dépenses (budgétaires ou fiscales) et le cadre de la taxonomie européenne. Mais l’État n’est pas le seul à disposer de leviers d’actions. Le rôle des collectivités territoriales est primordial dans la transition écologique, notamment du fait des diverses compétences qu’elles détiennent.
C’est en partant de ce constat qu’en 2019/2020, I4CE développe une méthodologie d’évaluation climat des budgets des villes et métropoles. L’année suivante, cette approche sera élargie au périmètre des Régions, puis déclinée à l’enjeu de biodiversité dans le cadre d’une expérimentation menée par CDC Biodiversité. Ces travaux ont permis à 4 Régions (Bourgogne Franche-Comté, Occitanie, Grand Est et Nouvelle-Aquitaine) et 3 partenaires (I4CE, Régions de France, OFB) de participer à ces développements méthodologiques. Dans un souci d’exhaustivité, l’approche retenue repose sur une catégorisation des dépenses de manière qualitative, en fonction des pressions exercés sur la biodiversité au sens de l’IPBES (changements d’usages, surexploitation des ressources, changement climatique, pollutions, espèces exotiques envahissantes).
Ces travaux, associés aux nombreux autres réalisés (sur l’angle d’atténuation du changement climatique), démontrent que la mobilisation de l’outil permet notamment : la sanctuarisation d’un temps d’échanges pour acculturer les élus aux enjeux environnementaux, favorise l’intégration de la dimension environnementale au sein des directions financières et techniques, permet de fournir des éléments aux décideurs dans une logique de réorientation des dépenses au sein du débat public, et de les suivre dans le temps (I4CE Budgétisation verte : retours d’expérience des collectivités, 2023).
Fort de ces retours, l’État instaure son obligation pour l’ensemble des collectivités territoriales de plus de 3500 habitants par le biais de l’article 191 de la Loi n°2023-1322 du 29 décembre 2023. Ce dernier circonscrit l’analyse aux seules dépenses d’investissements, et propose une prise en compte des enjeux environnementaux étalée dans le temps (à compter de l’exercice 2024 pour l’atténuation au changement climatique et de 2025 pour l’érosion de la biodiversité).
Malgré ce bilan positif, et cette rapide transcription législative, les méthodologies d’évaluation environnementale ne sont pas exemptes de limites. Dans un premier temps, elles font l’objet de débats sur les processus de catégorisation, et ce quel que soit l’échelon institutionnel de mobilisation. En effet, l’approche qualitative de la dépense ne permet pas d’objectiver son impact réel. Pourtant une dépense d’un faible montant peut générer un fort impact sur les différentes composantes biophysiques (qu’il soit positif ou négatif). Réciproquement, une dépense d’un montant important peut générer un faible impact. En ce sens, le budget vert ne permet pas d’évaluer la pertinence de la dépense au regard d’une trajectoire globale de réduction des impacts ou d’amélioration des conditions biophysiques des milieux. En l’état, l’outil ne permet donc pas d’éclairer les décideurs publics sur l’efficacité environnementale des investissements engagés.
De la même manière, le design de l’outil ne permet pas de hiérarchiser les différents enjeux environnementaux, et donc la pertinence du budget pour rapport au contexte territorial. Un système d’arbitrage peut être développé en interne pour identifier et hiérarchiser les enjeux prioritaires et donc l’orientation à prendre pour les budgets. Mais ces développements complémentaires nécessitent une mise en lien avec les différentes priorités de politiques publiques. Les acteurs se trouvent dans l’incapacité d’objectiver et de comparer la pertinence écologique des investissements réalisés dans une unité autre que celle des montants engagés. Il réside donc un risque pour que les enjeux prioritaires à l’échelle du territoire ne soient pas correctement traités. Ainsi, les perspectives pour mobiliser le budget vert comme un outil de pilotage opérationnel dans la conduite des politiques publiques restent limitées.
Une autre interrogation réside dans la capacité des acteurs à justifier de l’impact positif ou non d’une dépense sur la biodiversité en absence d’un cadre technique et opérationnel déclinable à l’ensemble des activités. Pour étayer ce point il est nécessaire de réaliser un comparatif avec une approche centrée sur les enjeux d’atténuation du changement climatique. Ainsi la taxonomie européenne comme la Stratégie nationale Bas Carbone offre des objectifs sectoriels pouvant être mobilisés comme système de référence pour classifier les investissements. Or, pour la biodiversité la taxonomie, comme la Stratégie Nationale Biodiversité ne permettent pas d’aller aussi loin dans la transcription d’objectifs sectoriels. Nous pouvons ici réaliser l’hypothèse que c’est justement l’absence de convergence des acteurs sur le type de métrique à mobiliser, qui conduit à complexifier la démonstration de l’intérêt d’une solution technique par rapport à une autre. Cette vision conduit à proposer des critères de classification qui sont moins stables d’un point de vue méthodologique et qui sont beaucoup plus dépendant du contexte d’intervention.
Par ailleurs, la quantité de données nécessaires pour alimenter un budget vert est conséquente. Le système de catégorisation prévoit aujourd’hui de catégoriser les investissements à l’échelle de l’opération. En pratique, les opérateurs doivent le plus souvent collecter des données extra-financières sur les différentes lignes de dépenses contenues au sein de cette même opération. Cette recherche réalisée de manière autonome, sans possibilité de s’ancrer sur les référentiels appliqués à l’échelle du budget de l’État (du fait de divergences méthodologiques) génère un coût non négligeable pour des perspectives de mobilisation limitées.
Enfin, il est important de noter que les résultats ne sont pas comparables d’une collectivité à l’autre. La méthode d’évaluation environnementale du budget des collectivités territoriales a initialement été pensée comme un outil librement appropriable pour les acteurs, dont les résultats sont dépendant des discussions interne aux services. Il visait ainsi à engager une démarche co-construite, facilitant son implémentation dans les processus internes de décision. La publication prescriptive des comptes de cette méthodologie bien que pertinente dans une démarche de planification écologique, peut ainsi conduire à des phénomènes de rejets de la part des acteurs, et donc à dénaturer l’outil (I4CE,2023).
Le budget vert permet donc d’évaluer le volume de financement impactant (favorablement, ou non) les différentes composantes environnementales. Le design même de cet outil atteint donc sa cible : sensibiliser l’ensemble des services à ces enjeux, structurer une démarche commune pour intégrer la dimension environnementale dans les arbitrages budgétaires, et fournir une nouvelle perception du budget aux décideurs publics.
Pour autant, l’impossibilité de quantifier l’intensité de l’impact généré, ou de comparer l’efficacité des investissements réalisés nous conduisent à constater une lacune d’un point de vue opérationnel pour accompagner les arbitrages financiers des collectivités territoriales.
Cette réflexion révèle une tension entre l’enjeu d’identification d’une dépense néfaste et celle de sa réorientation. Si d’un côté obtenir le montant des investissements dommageables à la biodiversité permet de constituer un socle argumentaire à la mise en action, il ne doit pas conduire à opposer la transition écologique à d’autres priorités de politiques publiques. Au contraire, il apparait nécessaire que les différentes politiques publiques intègrent la dimension environnementale systématiquement dans les arbitrages. Il convient alors d’envisager une approche complémentaire qui soit en mesure de :
La mise en place d’outils centrés sur l’efficacité écologique de la dépense des collectivités apparaît donc comme une nécessité pour leur permettre de piloter leurs stratégies environnementales, sans abandonner leurs actions sociales et économiques. Il est d’ailleurs intéressant de noter que les collectivités qui réalisent actuellement un budget vert sous l’angle de l’atténuation du changement climatique, vont naturellement coupler ces résultats avec ceux obtenus lors de leurs bilans carbones. Le croisement des deux outils permet d’adosser et de piloter des objectifs financiers sur la base de réalités biophysiques quantifiables.
La marge de manœuvre des collectivités territoriales s’en trouve alors renforcée, avec la possibilité de mettre en cohérence leurs investissements par rapport à une trajectoire nationale. Elles sont alors en mesure de dépasser la mise en avant d’un effort budgétaire, pour objectiver la pertinence des politiques publiques portées à l’échelle territoriale dans le cadre d’une stratégie nationale de réduction des pressions. Il en résulte un « langage commun » pouvant nourrir un argumentaire dans le cadre de discussion avec l’État, les partenaires financiers, ou les citoyens.
C’est dans cette logique que les développements d’un outil de mesure d’empreinte biodiversité prend tout son sens. Le Global Biodiversity Score pour les collectivités en proposant une mesure centrée sur l’intégrité des écosystèmes, offre les mêmes perspectives d’évaluation de l’action publique qu’un bilan carbone. Cette avancée est notamment permise par sa capacité à traduire l’information dans une métrique fixe : la MSA.km². Pour autant, la mobilisation d’un outil de modélisation tel que la mesure d’empreinte ne rend pas obsolète les autres catégories d’indicateurs. Il convient néanmoins de repositionner les approches, les outils et les indicateurs mobilisés en fonction de l’objectif de mobilisation affiché. Ainsi, les approches centrées sur d’autres niveaux de biodiversité (espèces, espaces protégées, …) semblent plus pertinentes, pour évaluer les actions réalisées au sein même des directions environnementales.
La possibilité de discuter de la pertinence d’un investissement public sur la base de son empreinte biodiversité constitue une avancée notable. En insérant des critères relatifs à la dimension écologique dans les processus de décision associés à l’ensemble des politiques publiques, nous cessons d’opposer les différentes thématiques (économique, sociale…). Il en résulte alors un nouveau processus d’arbitrage fondé sur des critères biophysiques et économiques, facilitant la mise en cohérence des objectifs de politiques publiques et donc l’atteinte simultanée des différents objectifs fixés (transition écologique, offre de services publics, développement du territoire…). En ces temps de polarisation du débat public, la mobilisation d’une telle approche participe directement à la construction d’un référentiel partagé, comparable, facilitant l’objectivation des efforts réalisés.
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Webinaire le 16 mai 2025 > Événement | Le Global Biodiversity Score : un outil au service des territoires | CDC Biodiversité