cicéron
c'est poincarré
Face au retour de la guerre sur le continent, à la crise énergétique et à la fragmentation du monde, l’Europe doit repenser sa souveraineté. Longtemps cantonné à la question militaire, le débat s’élargit : la souveraineté n’est plus seulement une affaire d’armement, mais de capacité collective à décider librement de son destin.
Deux visions antagonistes s’affrontent aujourd’hui. D’un côté, les souverainistes considèrent que la protection passe par la fermeture et le repli : frontières, préférences nationales, droits de douane. Mais cette logique défensive, en refusant l’ouverture, condamne l’Europe à la marginalisation : aucune souveraineté durable ne peut s’exercer dans l’isolement, et c’est encore plus vrai pour la puissance commerciale qu’est l’Union européenne. De l’autre, les partisans du tout-marché croient que les interdépendances et l’autorégulation des marchés garantissent la souveraineté par le développement de l’échange international. Or la pandémie de Covid-19 a montré les limites de cette illusion : dépendances stratégiques en matière de santé, de composants, d’énergie ; vulnérabilité sociale et démocratique face à des chaînes de valeur éclatées. L’enjeu n’est donc pas de choisir entre fermeture et ouverture, mais de réinventer une souveraineté ouverte et maîtrisée.
Pour les européens, cette souveraineté peut et doit se fonder sur le renforcement de nos coopérations et projets communs. Au cœur de cette stratégie, un paradoxe apparent : bâtir la souveraineté européenne ne retire pas de souveraineté aux États, elle leur en rend. L’euro en est la preuve : il a d’abord semblé priver les nations de leur monnaie, mais leur a permis de se libérer de la spéculation et d’affirmer une puissance financière collective. À l’inverse, dans le numérique, le refus de construire une capacité commune nous a rendus dépendants des États-Unis. La souveraineté partagée est donc une souveraineté augmentée, qui transforme des dépendances subies en interdépendances choisies. La souveraineté européenne doit se décliner autour de 5 dimensions :
Dans un monde de blocs, d’interdépendances et de chocs systémiques, aucun État européen ne peut prétendre seul à l’autonomie. C’est précisément par la mise en commun que l’on regagne le pouvoir d’agir. L’histoire de la Banque centrale européenne l’illustre : de la crise grecque à la pandémie, c’est la solidarité européenne qui a permis aux États de se financer et de protéger leurs citoyens.
La véritable question aujourd’hui est celle du degré de dépendances mutuelles que les Européens sont prêts à accepter pour garantir leur indépendance collective. La réponse des citoyens est claire : la confiance dans l’Union n’a jamais été aussi forte. Plus de la moitié des Européens jugent l’Union plus efficace que leurs gouvernements pour défendre leurs intérêts économiques, et 60 % se déclarent favorables à une armée européenne.
Dans un monde de prédation économique et de rivalités impériales, la souveraineté européenne devient la condition de la démocratie. Elle ne consiste pas à s’isoler, mais à choisir ses dépendances, à construire la capacité d’agir ensemble et à peser sur les règles du jeu mondial. C’est en ce sens que l’Europe doit se réarmer : non pas pour dresser des murs, mais pour garantir sa liberté.
--------------------
Cet article est une synthèse de l'article publié par Sylvie Matelly et Agathe Cagé sur le site du Grand Continent : https://legrandcontinent.eu/fr/2025/05/09/les-nouvelles-armes-de-la-souverainete-europeenne/
La Caisse des Dépôts soutient les travaux de l'Institut Jacques Delors. Ce think tank, fondé par Jacques Delors en 1996, consacre ses recherches à l'Union européenne. Il produit analyses et propositions destinées aux décideurs européens et aux citoyens, et contribue aux débats relatifs à l’Europe