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La pandémie de COVID-19 a remis au centre des préoccupations la question de l’alimentation, et plus particulièrement les enjeux de sécurité et qualité de l’approvisionnement alimentaire français.
Offre dépendante d’importations et de chaînes complexes d’approvisionnement, difficultés à trouver de la main-d’œuvre agricole, recours croissant à l'aide alimentaire… : notre système a révélé des failles et des limites dont peu de citoyens avaient jusqu’alors conscience. Après le succès inédit qu’ont connu les alternatives locales au cœur de la crise, les questions d’autonomie alimentaire du pays, de relocalisation de certaines filières et de circuits-courts de proximité sont aujourd’hui plus que jamais d’actualité.

Un système particulièrement vulnérable

Se nourrir, cet acte que nous faisons plusieurs fois par jour, est loin d’être anodin. Notre alimentation représente en effet un quart de notre empreinte carbone[1] , et l’ensemble de la chaîne alimentaire un tiers des émissions de CO2 dans le monde[2] . Cela semble difficile à croire, et pourtant, aujourd’hui, un aliment parcourt en moyenne 3 000 km avant d’arriver dans notre assiette[3]  ! D’un point de vue social et sanitaire, certaines limites semblent aussi atteintes : un quart des agriculteurs vit sous le seuil de pauvreté[4] , et notre régime alimentaire trop riche a un impact croissant sur la santé publique (obésité, diabète, etc.). 

Notre système alimentaire, mondialisé et interconnecté, a non seulement une empreinte environnementale et sociale considérable, mais il est aussi très fragile : un problème de rupture sur la chaîne logistique et, en seulement quelques jours, tout un pays peut se trouver en situation de pénurie sur certains aliments. Ainsi, selon une étude du cabinet Utopies, l’autonomie alimentaire des 100 premières villes françaises s’élève à seulement 2 % en moyenne[5] .

Dès lors, il est indispensable de développer la résilience alimentaire de nos territoires, c’est-à-dire leur capacité à assurer la disponibilité d’une nourriture accessible et en quantité suffisante pour tous, dans un contexte de perturbations variées et imprévisibles[6] . Cette nécessité de rendre notre système alimentaire plus résilient est notamment promue par l’association « Les Greniers d’Abondance », qui souligne dans un guide récent[7] le rôle clé que peuvent jouer les collectivités dans ce processus.

 

Le pouvoir des collectivités pour accompagner cette transition

On assiste en effet aujourd’hui à un renouveau de l’intérêt politique pour les questions agricoles et alimentaires. Un nombre croissant de collectivités territoriales, de toutes tailles et de tous niveaux, souhaite porter ces enjeux et s’engage aux côtés des acteurs locaux pour accompagner la transformation des modèles de production et de consommation.

Ces démarches sont d’ailleurs encouragées par les pouvoirs publics, qui ont fixé des objectifs ambitieux à travers la loi EGALIM[8] en 2018 : proposer 50% de produits locaux ou bio d’ici à 2022 dans la restauration collective.

Sensibiliser les citoyens, préserver les terres agricoles et la ressource en eau, favoriser le développement de circuits de distribution de proximité… : les collectivités disposent de multiples leviers d’actions pour stimuler et accompagner ces dynamiques locales.

Pour être plus précis et concrets, nous allons développer ci-dessous trois exemples d’outils sur lesquels elles peuvent s’appuyer, cette liste n’étant pas limitative.

 

Les PAT, un outil clé pour parvenir à la résilience alimentaire 

Nés en 2014 avec la loi d’avenir pour l’agriculture, les Projets Alimentaires Territoriaux, ou PAT, sont des dynamiques concertées qui visent à relocaliser l’agriculture et l’alimentation dans les territoires. Concrètement, le PAT permet de réunir l’ensemble des acteurs de la chaîne alimentaire (producteurs, consommateurs, collectivités, etc.) pour faire un état des lieux de la production et des besoins alimentaires du territoire, afin de rapprocher l’offre et la demande. Par nature transversal, un PAT aborde de nombreuses thématiques en lien avec l’environnement (agriculture biologique, réduction du gaspillage alimentaire, …), la santé, l’éducation à l’alimentation, etc.

Le plan de relance annoncé récemment par le gouvernement fait d’ailleurs de l’accès pour tous à une alimentation saine, sûre, durable et locale l’une de ses priorités, avec notamment 80 M€ pour développer les Projets Alimentaires Territoriaux, et l’objectif d’au moins un PAT par département à horizon 2022.

 

Préserver les terres et augmenter la population agricole

Autre dimension majeure dont dépend la résilience de notre système alimentaire : la capacité de production locale, qui passe par la préservation des terres agricoles et le maintien des agriculteurs. Donner priorité à des produits locaux est un objectif louable, mais à condition qu’il reste suffisamment de terres agricoles et d’agriculteurs pour produire ! Les enjeux sont considérables : un agriculteur sur deux partira à la retraite dans les dix ans à venir, et les sols artificialisés augmentent 3 fois plus vite que la population française[9] .

Engagé depuis 2003 pour la sauvegarde des terres agricoles et l’installation de paysans, le mouvement Terre de Liens[10] a ainsi par exemple créé PARCEL. Cet outil numérique gratuit permet d’évaluer pour un territoire donné les surfaces agricoles nécessaires pour se nourrir localement, mais aussi les emplois agricoles et les effets écologiques associés (émissions de GES, biodiversité, ressource en eau…). Il permet ainsi aux élus et aux citoyens de se saisir de ces enjeux et de développer plusieurs scénarios pour reconnecter l’alimentation au territoire.

 

Développer des outils locaux de transformation et de stockage

La majeure partie des produits alimentaires que l’on consomme fait l’objet d’une ou plusieurs transformations. Notre système agroalimentaire repose aujourd’hui sur des outils de transformation particulièrement concentrés, tant sur le plan économique que géographique. Pour limiter la dépendance aux transports et aux énergies fossiles, il est nécessaire de diversifier les échelles des filières de transformation, en développant des unités complémentaires locales (légumeries, conserveries, moulins, laiteries, abattoirs…) disposant de capacités de stockage. L’atteinte des objectifs fixés par la loi EGALIM suppose d’ailleurs une structuration bien plus poussée des filières et systèmes de production, par exemple en bio – laquelle repose notamment sur le développement d’unités de transformation.

Ici encore, les collectivités peuvent favoriser le développement de ce type d’outils sur leur territoire, avec notamment le levier de la commande publique via la restauration collective, mais aussi parfois en s’impliquant directement dans la structure coopérative qui le détient et le gère. Ces outils de transformation créent de surcroît des emplois locaux non délocalisables et fréquemment ouverts à des personnes en insertion ou en situation de handicap.

De nombreux projets d’outils de transformation locaux voient ainsi le jour actuellement. L’AFSAME, structure associative en Bourgogne Franche-Comté, s’est ainsi appuyée sur une activité existante de maraîchage biologique réalisée par des personnes en situation de handicap pour développer une légumerie et une plateforme de stockage, avec la création de plus d’une vingtaine d’emplois en insertion. Ouverte aux agriculteurs du territoire, cette plateforme permet ainsi d’approvisionner en produits bio et locaux les cantines du Grand Besançon[11].

 

La Banque des Territoires accompagne les collectivités et les acteurs de l’économie sociale et solidaire qui cherchent à structurer des systèmes alimentaires locaux rapprochant producteurs, transformateurs et consommateurs, mais aussi permettant de recréer des liens entre les territoires urbains et les zones rurales. Terre de Liens et l’AFSAME font partie des structures dans lesquelles elle a investi pour porter ces dynamiques

 

Circuits-courts, circuits de proximité, quelle différence ?

Très souvent employé actuellement pour désigner le retour à une alimentation plus locale et durable, le terme « circuits-courts » est pourtant trompeur. Un circuit-court est un mode de commercialisation qui s’exerce soit par la vente directe du producteur au consommateur, soit par la vente indirecte, à condition qu’il n’y ait qu’un seul intermédiaire. Il n’inclut donc pas la notion de proximité, ce qui signifie qu’un circuit-court peut désigner de la vente directe du producteur au consommateur, mais à des milliers de kilomètres de distance : on est alors loin du « locavorisme » ! Il est donc plus approprié de parler de circuit-court de proximité, pour tenir compte aussi de la distance géographique entre le producteur et le consommateur et non uniquement du nombre d’intermédiaires. S’il n’y a pas de définition commune de la distance maximale qualifiant un circuit de proximité (car elle varie en fonction du type de produits concerné), il est important de ne pas oublier cette notion de distance géographique, dès lors qu’il est question de relocaliser notre système alimentaire.