Ce texte s’inscrit dans une série d’articles issus d’une recherche soutenue par l’Institut pour la recherche de la Caisse des dépôts et consacrée aux métaux de la transition énergétique.

Dirigée par Gilles Lepesant, Directeur de recherche en géographie au CNRS (CEFRES, Prague 2025), cette recherche examine les différents enjeux géopolitiques, industriels, sociaux et environnementaux des métaux nécessaires à la décarbonation du mix électrique ainsi que les stratégies déployées par l’Union européenne et par les pays qui l’approvisionnent. Ces travaux donneront lieu à un rapport en décembre 2025.

SOMMAIRE

  1. TERRES RARES : QUELLES ALTERNATIVES À LA CHINE ? 
  2. LES MÉTAUX DE LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE : ENJEUX SOCIAUX ET ENVIRONNEMENTAUX (publication le 2 juin 2025)
  3. QUELLE STRATÉGIE EUROPÉENNE POUR LES MÉTAUX ? (publication le 27 juin 2025)

Le 4 avril 2025, le Ministère chinois du Commerce a imposé des restrictions aux exportations de sept terres rares ravivant le spectre d’une instrumentalisation des métaux dans les tensions commerciales. Cruciales dans le secteur de la défense, les terres rares revêtent un enjeu particulier qui dépasse leur rôle dans la transition énergétique. Face au quasi-monopole exercé par la Chine, des alternatives émergent dans plusieurs pays allant du recyclage à la recherche de solutions alternatives en passant par une relance de l’activité minière et une nouvelle géographie de l’approvisionnement.

Des origines suédoises au monopole chinois

L’histoire des terres rares débute en Suède, en 1787, quand le minéralogiste amateur suédois (et lieutenant d'artillerie) Carl Axel Arrhenius, découvre dans les carrières d’Ytterby (exploitées pour développer la porcelaine) un minéral noir et le soumet à des chimistes pour analyse. De nouvelles « terres » (dites rares parce qu’elles nécessitent l’excavation massive de roches pour être collectées) seront peu à peu identifiées. L’histoire industrielle des terres rares a, elle, débuté aux États-Unis lors de la Seconde Guerre mondiale avec le projet Manhattan de construction d’une bombe nucléaire. Dans les années qui ont suivi et grâce à la mine de Mountain Pass (Californie), les États-Unis ont acquis une position dominante sur le marché mondial. La Chine a par la suite capté une partie croissante de l’extraction et du raffinage de ces terres rares dans le contexte de la montée en puissance de l’électronique grand public. Les autres pays se désengageant d’activités d’extraction et de traitement peu rémunératrices et polluantes, elle est peu à peu devenue le principal pôle d’approvisionnement.

Des métaux essentiels à la transition énergétique et à la défense

Les volumes commercialisés dans le monde sont faibles au regard d’autres matières premières (en 2024, la Chine a produit 120 000 tonnes de terres rares). Celles-ci jouent cependant un rôle crucial, notamment pour améliorer les performances à haute température des métaux auxquels elles sont associées. Elles sont utilisées dans les aimants permanents équipant les véhicules électriques et les éoliennes, notamment marines. Leur importance dans d’autres domaines, notamment la santé, la défense (drones, sous-marins, avions de chasse, radar, lunettes de vision nocturne) leur confère un rôle de premier plan dans les tensions commerciales contemporaines.

La Chine concentre désormais plus de 60% des terres rares extraites, 93% de production d’oxydes et plus de 90% de la production d’aimants permanents. En Mongolie intérieure, le district minier de Baiyun Obo abrite le plus grand gisement de terres rares au monde associé à un important complexe industriel de traitement. Deux autres zones se situent dans la Province du Sichuan et enfin dans le sud de la Chine, dans les provinces de Jiangxi, de Guangdong, de Fujian, de Hunan, du Guangxi, du Yunnan où le lessivage sur place est abondamment pratiqué. Les mines (notamment les mines clandestines) ont eu des incidences notables sur la santé humaine et sur le réseau hydrographique en raison des solvants utilisés et de la radioactivité de certaines terres rares.

Un levier de puissance géopolitique

L’instrumentalisation par la Chine des terres rares est apparue une première fois en 2010 à la suite d’un contentieux mettant aux prises un bateau de pêche chinois intercepté par la marine japonaise dans une zone revendiquée par Pékin (les îles Senkaku). Vis-à-vis des États-Unis, des restrictions aux exportations furent imposées en 2022 puis en 2025, sept terres rares indispensables à plusieurs applications militaires faisant l’objet de restrictions à l’export.

Au vu de la forte demande attendue en métaux et notamment en terres rares (une multiplication par sept de la demande est anticipée par l’Agence internationale de l’énergie[1]), diversifier l’approvisionnement minier s’impose d’autant que le recyclage ne contribue qu’à une part dérisoire de l’offre[2]. Hors de Chine, de nombreux pays abritent des réserves avérées ou supposées. L’Indonésie, l’Argentine, l’Australie, le Vietnam, la Suède, les États-Unis disposent de gisements dont certains sont déjà exploités. Le potentiel apparaît significatif en Asie du Sud-Est, notamment au Vietnam et au Myanmar, ce dernier pays fournissant plus de 60% de deux terres rares (dysprosium et terbium) en 2024.  Plusieurs régions prometteuses d’Asie sont néanmoins des zones de conflit ou de tensions entre l’État central et les élites locales (Balouchistan au Pakistan, État Kachin au Myanmar frontalier avec la Chine)[3]. Dans d’autres pays, les projets miniers peuvent se heurter aux contraintes règlementaires et exiger entre 10 et 15 ans avant une mise en production. Aux États-Unis, les nombreuses administrations impliquées et la proximité de plusieurs sites miniers avec des réserves indiennes expliquent que les délais puissent avoisiner une trentaine d’années[4]. D’où les espoirs placés dans les mesures prises ces dernières années en faveur d’une accélération des procédures d’octroi de permis miniers.

L’exploitation des fonds marins est également envisagée par plusieurs pays et l'Autorité internationale des fonds marins (AIFM) prépare sous l'égide de l'ONU un code minier. Les risques de porter atteinte à des écosystèmes encore mal connus, le coût des projets sans parler des incertitudes juridiques invitent néanmoins à considérer avec prudence cette alternative.

Surtout, l’accès aux ressources minières n’épuise pas la question. Disposer également des technologies et des capitaux nécessaires lors des étapes successives du traitement des terres rares importe tout autant. En témoigne le cas de la principale mine américaine (Mountain Pass) dont l’essentiel de la production est exporté vers les usines chinoises de traitement. Si les alternatives à la Chine sont peu nombreuses, elles émergent peu à peu.

Vers une diversification des approvisionnements : enjeux et perspectives d’avenir

L’entreprise en charge de la mine de Mountain Pass a ainsi réduit ses exportations vers la Chine pour valoriser la ressource sur le sol américain[5] avec l’aide d’un programme spécifique du ministère de la défense. Depuis 2020, celui-ci a alloué près de 500 millions USD pour constituer une filière de traitement des terres rares[6]. Des projets ont émergé en Caroline du sud, dans l’Oklahoma, au Texas où s’est implanté le principal acteur industriel australien déjà détenteur d’une usine de raffinage en Malaisie[7] . Le Ministère américain de la Défense a également cofinancé une usine de traitement au Canada (Saskatchewan) dont l’entreprise titulaire a par ailleurs repris une usine de raffinage jusque-là à l’arrêt au Laos. En Europe, des capacités de raffinage voient le jour au Royaume-Uni, en Norvège, en Suède. En France, le site de la Rochelle a repris ses activités de raffinage de terres rares en 2025[8] et un projet franco-japonais a été initié à Lacq avec un approvisionnement issu de rebuts de production avant de recycler des aimants permanents[9].

Ces projets nécessitent un soutien public tant les contraintes environnementales posées notamment par les effluents issus des différentes étapes du traitement des terres rares exigent des solutions susceptibles de renchérir les coûts. Leur rentabilité immédiate pose en outre question en raison de la volatilité des prix provoquée par les politiques étatiques conduites et par la spéculation.  Nul doute que la sécurité de l’approvisionnement doit également passer par des importations en provenance de pays de confiance. L’Union européenne a signé une quinzaine de partenariats pour les matières premières avec différents pays situés en Europe, en Amérique et en Afrique et les traités commerciaux signés avec des pays-tiers comportent des clauses facilitant l’accès aux ressources minières des pays partenaires[10]. Aux États-Unis, une étroite coopération a été nouée avec l’Australie et le Canada au titre du « friendshoring » prônée par la Secrétaire d’État Yanet L. Yellen[11], une approche fragilisée par la politique commerciale adoptée depuis la réélection de D. Trump. Les autorités américaines ont par ailleurs ouvert des discussions avec l’Ukraine et avec la Russie pour l’accès à des gisements dont le potentiel et l’intérêt économique restent néanmoins à démontrer.

Pour certaines applications, le recours aux terres rares peut par ailleurs être évité. Plusieurs constructeurs de véhicules électriques ont ainsi opté pour le moteur à induction (mis au point dans les années 1920 par Nikola Tesla) dépourvus de terres rares et certains turbiniers ont réduit ou supprimé leur usage dans les éoliennes. Si le recours aux terres rares apparaît néanmoins inévitable dans de nombreuses applications, notamment militaires, la multiplication des projets de sites d’extraction et de traitement dans différentes régions du monde témoigne d’une géographie des terres rares appelée à ne plus être centrée exclusivement sur la Chine. Les besoins de celle-ci nécessitant des importations, les gisements d’Asie du Sud-Est, d’Afrique ou d’Amérique latine risquent néanmoins de susciter des rivalités. Plus que jamais, l’accès aux terres rares est davantage un défi politique et industriel qu’un enjeu géologique.

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Notes

[3] Shoon Naing et Mai Nguyen, Armed group says it takes control of Myanmar rare earth mining hub, Reuters. 23 octobre 2024.

[4] Amanda Chu, « Timelines for new US mines among longest in the world », Financial Times, 18 juillet 2024.

[7] Étienne Goetz, « Lynas au Texas plombé par les surcoûts », Les Échos, 28 avril 2025.

[8] Nathan Mann, « A La Rochelle, Solvay se lance dans les terres rares pour le véhicule électrique », L'Usine nouvelle, 08 avril 2025.

[11] Remarks by Secretary of the Treasury Janet L. Yellen on the Biden Administration’s Economic Approach Toward the Indo-Pacific

November 2, 2023 https://home.treasury.gov/news/press-releases/jy1872