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Crédit ©c.dascher
Alors que les observateurs craignaient un affaiblissement de la dynamique multilatéraliste à l’échelle internationale sur les enjeux environnementaux, la Troisième Conférence des Nations-Unies sur l’Océan (UNOC3) réussit à reconstruire un dialogue collectif et même une démonstration de leadership multilatéral. Mais les défis restent majeurs : assurer la mise en œuvre effective des engagements, éviter l'écart entre ambition et action, et réunir flux financiers aux dispositifs opérationnels de préservation et de restauration des écosystèmes.
L’IPBES rappelait dès 2019 que 66% des océans subissent des incidences cumulatives de plus en plus importantes, altérant la richesse des milieux marins et la complexité des relations entre écosystèmes, biotope et biocénose. Cette connectivité hydrodynamique contribue à un équilibre écologique, réservoir de biodiversité, source de services indispensables, et désormais fragilisé. (Fromentin et al., 2019).
Le rôle écologique majeur des milieux marins induit également, du point de vue économique, des enjeux de dépendance directe ou indirecte de plus de 3,5 milliards de personnes. L’exposition de ces derniers, et de l’économie, aux dégradations des grandes dynamiques écologiques en cours reste encore insuffisamment traité. Des enjeux d’approvisionnement en ressource halieutique jusqu’aux enjeux de protection côtière (submersion, érosion du trait de côte), d’économie touristique ou de socle culturel pour certaines populations (IFRECOR, 2024) ; les milieux marins apparaissent comme un bien commun dont la dégradation induira nécessairement des impacts forts sur les systèmes socio-économiques littoraux.
Le discours de conciliation des enjeux environnementaux et économiques associés aux milieux marins s’est construit historiquement autour des enjeux de conservation et d’utilisation durable des espaces et de leurs ressources, tels que définis par l’objectif 14 du développement durable (Organisation des Nations Unies, 2021). Renouvelés et renforcés par les accords de Kumming-Montréal (Cadre mondial pour la biodiversité), ces enjeux de conciliation bénéficient aujourd’hui d’un nouvel élan avec l’UNOC3 pour maintenir, et même faire évoluer les modalités de gouvernance internationale pour des milieux marins qui couvrent 72% de la surface du globe, et pour autant ne relèvent (hors Zones Economiques Exclusives) d’aucune juridiction (Ministère de la Transition écologique, de la Biodiversité, de la Forêt, de la Mer et de la Pêche, 2025).
Enjeu stratégique |
Constats à l’UNOC 3 |
Implications pour la France & l’UE |
1. Gouvernance & droit international |
• Traitement des zones au-delà des juridictions nationales via le traité BBNJ qui entrera en vigueur d’ici janvier 2026 • Lancement du Plan d’action de Nice adoptée vendredi 13 juin lors de la session plénière de clôture de la troisième Conférence des Nations Unies sur l’Océan |
• Renforcer le leadership juridique et diplomatique de l’UE sur la haute mer • La France joue un rôle-pivot pour la ratification du traité dans les pays francophones et méditerranéens |
2. Objectif 30×30 (aires marines protégées) |
• Seulement ~8 % des océans sont actuellement protégés, et beaucoup le sont de manière peu effective |
• La France a l’opportunité de passer de la protection déclarative à la gestion restrictive (ex. interdiction du chalutage de fond) • L’UE est attendue sur un modèle de protection cohérent entre États membres |
3. Exploitation des ressources marines |
• Appel international au moratoire sur le deep-sea mining (37 pays) |
• La France (IFREMER, DOM-TOM) est concernée par les gisements polymétalliques – et a un rôle de leader pour arbitrer entre intérêts miniers et précaution environnementale • Nécessité de fixer une position européenne claire à l’ISA (Autorité internationale des fonds marins) |
4. Pollution plastique & chimique |
• Large soutien à un traité mondial juridiquement contraignant • Engagement de Nice signé par 95 États |
• L’UE et la France sont moteurs dans les négociations (CIN-5.2 à Genève) • Impact direct sur les industries françaises (emballage, agroalimentaire, portuaire) |
5. Financement & économie bleue durable |
• Besoin global de 175 Mds $/an pour l’économie océanique durable encore non atteint depuis le Rapport sur l’ODD 14 du Forum Economique Mondial en 2022 • Lancement du Pacte bleu européen |
• Positionner l’UE comme leader en matière de dispositifs de financements structurants et innovants • Développer les infrastructures portuaires durables, la pêche régénérative, l’économie bleue au sens large |
6. Recherche, innovation & jumeaux numériques |
• Avancées présentées dans les jumeaux numériques de l’océan (modélisation, IA) • Pavillon UE très en vue |
• Renforcer la place de la France dans Copernicus Marine & Mercator Ocean • Valoriser la recherche publique et privée (IFREMER, CNRS) |
7. Inclusion des communautés côtières |
• Reconnaissance du rôle des populations locales & autochtones • Dimension sociale renforcée dans le Plan de Nice |
• Intégrer les pêcheurs, collectivités locales, ultra-marins dans la gouvernance maritime • France : enjeu spécifique pour les DROM (Polynésie, Mayotte, Antilles) |
8. Diplomatie & multilatéralisme |
• Absence remarquée des États-Unis ; montée en puissance du "Sud Global" • Un vide diplomatique qui profite au leadership européen |
• Consolider le rôle de la France comme puissance d’équilibre climatique • Promouvoir un axe Europe-Afrique sur la gouvernance des océans |
Ces apports conduisent à accroître la prise en compte de ces enjeux en proposant de traiter les phénomènes d’accaparement et d’exploitation des milieux, et à prendre en compte les équilibres écologiques sur lesquels ils reposent.
Dans ce contexte CDC Biodiversité, filiale de premier rang du Groupe Caisse des Dépôts, créée en 2008 avec pour but de concilier développement économique et préservation de la biodiversité a souhaité rappeler ses positions sur la préservation et la restauration des écosystèmes marins.
Les éléments qui suivent sont fondés sur deux questions essentielles :
Ces questions permettent de décliner la position de CDC Biodiversité qui souhaite rappeler l’importance de porter un même niveau d’ambition en matière de lutte contre la dégradation des milieux marins que sur les milieux terrestres ; et l’importance de fournir à cette ambition des dispositifs opérationnels pour qu’elle se décline concrètement.
Ce sont les messages qui ont été portés lors du Side-Event « Biodiversité marine et acteurs économiques : Évaluer les impacts et financer la restauration écologique des milieux » construit en partenariat avec l’Ifremer, EDF Renouvelables, Carbone4 et le WWF, le mardi 10 juin 2025 de 9h30 à 12h à la Chambre de Commerce et d’Industrie de Nice Côte d’Azur.
Si aujourd’hui, les entreprises sont de plus en plus nombreuses à reconnaître leur dépendance à la nature, et leur responsabilité dans son érosion, elles restent encore peu outillées pour identifier les impacts qu’elles génèrent sur les milieux marins.
Sur 25 cadres existants liés à l’action biodiversité en mer, aucun ne couvre l’ensemble des pressions marines de façon intégrée, mesurable et exploitable pour les entreprises (WWF, 2024). A ces considérations, les équipes de CDC Biodiversité ont réalisé un diagnostic faisant les constats suivants :
Angle-mort méthodologique majeur, il n’existe aucun outil opérationnel (aucun modèle intégré, multi-pression, et orienté entreprise n’existe pour les milieux marins) permettant de mesurer de manière intégrée et quantitative l’empreinte d’une entreprise sur la biodiversité marine, alors même que les écosystèmes marins subissent des pressions croissantes (surpêche, pollution plastique et chimique, acidification, artificialisation des côtes…).
La mise en œuvre de moyens dédiés aux développements de ces outils, et la mise en lien de ces derniers avec des cadres institutionnels de transformation des organisations (SBTN, TNFD) constituent les prérequis pour espérer voir émerger des modèles économiques plus soutenables alignés sur les trajectoires classiques du continuum d’application de la mitigation hierarchy.
C’est dans ce contexte que CDC Biodiversité lance, en partenariat avec Carbone4 et l’IFREMER, une initiative visant à développer une méthodologie d’évaluation des pressions et impacts des entreprises et institutions financières sur la biodiversité marine. Conçue en collaboration avec la communauté scientifique et le secteur privé, cette méthodologie se veut publique, adaptée aux enjeux opérationnels des entreprises et alignée avec les principaux cadres institutionnels en cours de structuration. Elle servira de base à de futurs travaux de recherche visant à enrichir durablement les outils de mesure d’empreinte, et contribuera à structurer un cadre de mesure robuste, à l’échelle française et européenne.
À l’échelle française, l’Article L 163-1 de la Loi pour la reconquête de la biodiversité du 9 août 2016 stipule que les porteurs de projet qui entraînent des atteintes prévues ou prévisibles sur les milieux marins sont soumis à l’application de la séquence Eviter-Réduire-Compenser au même titre que pour n’importe quels autres milieux. Néanmoins la transposition de ce dispositif à ces écosystèmes particuliers est soumise à plusieurs obstacles dans sa bonne application (CGDD, 2023), et conduit donc à un manque de résultat dans la mise en place de politique de préservation. A ce constat s’ajoute les échecs dans l’amélioration globale des écosystèmes liés aux politiques de rationalisation et de spatialisation des usages de la mer par le biais de divers organes institutionnels.
Il apparaît essentiel que les politiques environnementales en matière de milieux marins, dont le processus d’autorisation environnementale, intègrent la spécificité de ces milieux pour s’assurer que les mesures mises en œuvre permettent effectivement l’évitement, la réduction, et également l’absence de perte nette à l’échelle des projets, sur la base de cibles et de trajectoires écologiques pertinentes d’un point de vue scientifique.
En tant qu’état côtier, la France dispose de la deuxième zone économique exclusive (ZEE) mondiale, et en tant que puissance maritime elle possède des territoires sur presque tous les océans. Face aux enjeux de plus en plus prégnants d’utilisation croissante des milieux marins (exploitation des ressources biotiques et abiotiques, infrastructures portuaires en extension, augmentation des flux de marchandises, installation d’infrastructures d’énergies marines ou infrastructures de l’information), et face aux phénomènes de « territorialisation des mers » (FMES, 2023) les enjeux de maîtrise environnementale de ces espaces sont un impératif stratégique majeur.
A ce titre, il apparaît nécessaire d’associer à la prise de conscience de l’accumulation des pressions qui s’exercent sur les milieux marins (stock historique d’impacts et flux continu de nouveaux impacts) des dispositifs de financement de la restauration écologique des écosystèmes dégradés. Ils permettront notamment aux territoires côtiers et littoraux de mieux faire face aux enjeux d’utilisation de ces espaces mais aussi de proposer des modèles européens en matière d’action en milieu marin, à la conjonction des perspectives liées aux besoins de restauration de 30% des espaces terrestres et marins et des dispositifs de certificats biodiversité voire de « crédits natures ».
Ces dispositifs pourront d’ores-et-déjà combiner les meilleures approches de restauration écologique sur le modèle des recommandations formulées par le WWF en 2023 dans son Rapport Restauration Ecologique en Mer Méditerranée : « construire un continuum restauratif, sans opposer passif et actif mais en les intégrant l’un à l’autre dans une chaîne d’actions, c’est-à-dire 1/ la non-dégradation, 2/ la restauration en stoppant les impacts limitant la capacité des écosystèmes à se rétablir d’eux-mêmes (levées de pression) 3/ la restauration visant une intervention ciblée et lorsque cela est possible pour stimuler ponctuellement le rétablissement 4/ exceptionnellement, la restauration par une intervention de reconstruction complète ou quasi-complète de l’écosystème et/ou des espèces ingénieures. »
Afin d’assurer le succès de telles opérations, ces dispositifs de financement devront démontrer de leur insertion viable et efficace au sein des schémas de planification (Document Stratégiques de Façade, STERE) et de leur ancrage territorial pour combiner : définition des objectifs écologiques, localisation des sites, mobilisation des méthodes les plus adéquates de restauration, conciliation et concertation avec les parties-prenantes locales, mais aussi contrôle de la trajectoire de gain écologique par les services de l’état.
À ce titre, la mise en place de Sites naturels de compensation, de restauration et de renaturation en milieux marins pourrait constituer un dispositif règlementaire mobilisable utilement :
C’est le constat posé par CDC Biodiversité, le WWF et EDF Renouvelables au Side-Event UNOC3 « Biodiversité marine et acteurs économiques : Évaluer les impacts et financer la restauration écologique des milieux » lors d’une table-ronde dans laquelle ils ont posé de premiers jalons pour mener une conversation de long-terme en souhaitant aboutir sur la préfiguration opérationnelle d'un SNCRR en milieu marin.