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Malgré un contexte d’incertitude politico-économique – marqué par une contraction des budgets RSE et un recul des ambitions environnementales, on observe en France et en Europe un foisonnement d’outils et dispositifs de financement de projets de restauration de la biodiversité ou de contribution carbone.

Un paysage d’outils et de dispositifs en expansion

Plusieurs initiatives structurent le marché[1] :

Pour le Carbone

Le Label bas-carbone a fêté en mars 2025 ses 6 ans, avec près de 2 000 projets labellisés pour environ 7,5 millions de crédits carbone potentiels. Avec 16 méthodes approuvées, ce dispositif s’est imposé comme le principal cadre de la contribution carbone volontaire en France.

Pour la biodiversité 

Deux axes principaux structurent le financement de la biodiversité :

Les Sites Naturels de Compensation, de Restauration et de Renaturation, créés en 2023 par le code de l’environnement et permettant à travers une compensation écologique par l’offre de générer des Unités de compensation tant à destination des acteurs obligés (compensation écologique obligatoire) qu’à des financeurs volontaires (démarche RSE).

Les dispositifs de mécénat ou d’initiatives de place visent à structurer des mécanismes de financement de projets de paiements pour services écosystémiques en faveur de la biodiversité, des sols ou des milieux humides (Fonds Nature Impact de WWF, Fonds Nature 2050 de CDC Biodiversité, initiatives de création de certificats biodiversité, etc.).

A cela s’ajoutent les incertitudes entourant le devenir du Zéro Artificialisation Nette (ZAN) et la perspective de la déclinaison en France du Règlement européen sur la restauration de la nature.

Quel rôle pour les collectivités locales ?

Dans ce contexte à la fois foisonnant et incertain, les collectivités locales - notamment celles disposant de compétences environnementales et de développement économique (agglomérations, métropoles, régions) – occupent une position stratégique. Comment peuvent-elles s’organiser pour apporter une réponse aux questionnements et besoins des acteurs de leur territoire ?

Quels outils ou politiques peuvent-elles mettre en place ? Quels sont les retours d’expériences actuels ?  

1. Comprendre les mécanismes à l’œuvre et connaître les spécificités et besoins de son territoire

Chaque territoire en France dispose de spécificités biogéographiques, économiques et climatiques.

Pour que les collectivités locales puissent s’impliquer efficacement dans les dynamiques de compensation ou de contribution carbone et biodiversité, elles doivent d’abord :

Maitriser le cadre de référence 

Connaître les normes, mécanismes, dispositifs et autres initiatives nationales ou européennes qui régissent les différentes formes de compensation applicables sur leur territoire.

Cartographier les acteurs de leur territoire

Identifier les porteurs de projets, opérateurs, organisations de la société civile et financeurs potentiels (entreprises pouvant être soumises à respecter la séquence ERC ou contributrices volontaires). Cette cartographie permet d’identifier leurs besoins, d’évaluer le potentiel du marché (offre et demande de projets) et de comprendre les freins à sa mise en œuvre.

Analyser les dynamiques partenariales locales 

Caractériser notamment les coopérations public-privé et inter-collectivités susceptibles de favoriser l’émergence et le financement de projets.

Recenser les aides publiques disponibles

Identifier les financements nationaux ou locaux selon les secteurs de projets (agriculture, forêt, carbone bleu, milieux humides, bâtiment, etc.), pour les articuler avec les mécanismes applicables de financement volontaires ou obligatoires existants ou à venir.

Par exemple, plusieurs collectivités ont déjà engagé ce travail de diagnostic territorial :  

  • La région Grand Est a conduit une étude d’opportunité en vue de la création d’un opérateur des compensations, assortie d’une cartographie exhaustive des dispositifs, acteurs, potentiels et besoins en matière de compensation obligatoire et volontaire.
  • La région Sud a réalisé un panorama à visée pédagogique des dispositifs de financement privés (volontaires ou obligatoires) de projet de restauration de la biodiversité et de contribution carbone, analysant leur présence et leur potentiel sur le territoire régional.
  • D’autres collectivités se sont engagées dans des démarches similaires : la région Occitanie, la Métropole d’Aix-Marseille-Provence et le Pays d’Arles, les Métropoles de Nantes, de la Rochelle, la ville et la Métropole du Grand Paris, etc.

 

2. Définir une politique publique adaptée aux besoins du territoire, pouvant aboutir à la création de structures ad hoc

Sur la base du diagnostic territorial, plusieurs niveaux d'intervention peuvent être envisagés.

Jouer un rôle informatif 

Créer un véritable guichet d'information pour faciliter l'accès aux dispositifs existants, par exemple un recensement (annuaire, guichet…), visant à faciliter l’accès aux dispositifs existants pour les porteurs de projets et financeurs.

Exemple :

La Métropole Européenne de Lille recense les initiatives et projets labellisés bas-carbone sur son territoire pour les mettre en avant et inciter au passage à l’action. Elle propose un canal aux porteurs de projets potentiels pour répondre aux questions et les informer sur les modalités d’engagement dans ce dispositif.

 

Devenir animatrice et facilitatrice

Coordonner les efforts pour soutenir les secteurs et acteurs territoriaux. Cela peut passer par des actions de sensibilisation et l’accompagnement des entreprises pour orienter leurs financements vers des projets territoriaux, pour aider les porteurs de projets à obtenir une labellisation ou à solliciter des financements privés (contraintes administratives, manque de connaissances, besoin technique, etc.) :

Exemple :

A travers son programme « Une Canopée pour Roissy Pays-de-France », la Communauté d’Agglomération Roissy Pays-de-France accompagne les communes de son territoire depuis deux ans dans l’amélioration technique de leurs projets de plantation d’arbres.

 

Intervenir comme financeur

Apporter un soutien direct ou indirect, par exemple via des subventions ciblées facilitant l’accès au marché pour les porteurs de projets, ou par le soutien à la création de standards et dispositifs adaptés aux besoins du territoire (fonds de dotation, méthode Label bas-carbone, SNCRR, etc.) :

Exemples :

La Région Sud a créé RESPIR, une entité capable d’orienter des projets de boisement ou reboisement vers des financements privés en fonction de leur éligibilité : mécénat ou Label bas-carbone, tout en fléchant ses subventions envers ces projets pour les articuler avec les critères des fonds privés ;
La Métropole Européenne de Lille se porte elle-même mandataire de projets Label bas-carbone pour le compte de communes de son territoire au titre de la méthode « Ville arborée » ;
La Métropole du Grand Paris est co-financeur du dispositif Nature 2050 pour les projets de nature en ville portés par des acteurs publics du territoire ;
La Région Bretagne a mis en place une fondation Breizh Biodiv, pilotée par la Fondation pour la Nature et l’Homme, pour soutenir des projets en faveur de la biodiversité.

 

Exercer une influence normative

Jouer un rôle de « lobby » pour faire évoluer les référentiels et normes afin de permettre des expérimentations territoriales adaptées aux réalités locales.

Mettre en place un acteur « opérateur » économique territorial 

Ce dernier pourrait intervenir sur le champ concurrentiel pour accompagner les porteurs de projets et attirer les financeurs sur le territoire.

 

3. La création d’opérateurs de compensation territoriaux, un outil pionnier encore en développement face aux réalités de marché

En créant une structure ad hoc visant à intervenir sur le marché, en réponse aux besoins des acteurs territoriaux, les collectivités se dotent ainsi d’un outil orienté vers l’action.
Celui-ci soutient leurs stratégies (SRADDET, PCAET, SCoT) tout en contribuant au rayonnement de leur territoire.

Les Coopératives Carbone : une nouvelle génération d'acteurs

Parmi ces structures, les « Coopératives Carbone » émergent comme un modèle prometteur. De quoi s’agit-il ?

S’il serait incorrect de donner une définition unique de ces structures, les Coopératives Carbone peuvent être décrites ainsi : il s’agit souvent de Sociétés Coopératives d’Intérêt Collectif (SCIC), parfois d’associations. Elles sont créées à l’initiative de collectivités publiques et d’acteurs privés d’un territoire, pour favoriser l’émergence de projets d’atténuation ou d’adaptation au changement climatique et mobiliser des financements RSE locaux envers ces projets.

Initiatives existantes et en développement

  • Structures opérationnelles : Climat Local à Toulouse (Région Occitanie, Grand Albigeois), Coopérative Carbone de La Rochelle, Coopérative Carbone de Paris & Métropole du Grand Paris, Carbolocal au Havre, guichet carbone de l’Agence du Climat de l’Eurométropole de Strasbourg (qui est une association).
  • A l’étude ou en cours de création : Métropole de Nantes, Métropole d’Aix-Marseille-Provence et du Pays d’Arles, Métropole de Brest.

D’autres territoires ont également engagé des réflexions mais les projets semblent avoir été abandonnés.

Avantages et flexibilité

Ces structures peuvent s’adapter aux spécificités de leur territoire, en créant par exemple leur propre Label de compensation (La Rochelle Territoire Zéro Carbone ; Urb’adapt pour Paris & Métropole du Grand Paris ; méthode Haies Champêtres pour Climat Local). Cela permet de pallier certaines rigidités du Label bas-carbone, comme l’inadaptation à des projets spécifiques ou de petite taille, ou l’absence de méthodes pour certains enjeux territoriaux (prairies permanentes en Région Grand Est, par exemple), tout en recourant au Label bas-carbone lorsque pertinent (ou par la suite si une méthode Label bas-carbone visant les mêmes projets était approuvée).

Par ailleurs, ce sont des outils de dialogue entre acteurs d’un territoire, en raison du format de SCIC, les instances de gouvernance – même si cela peut varier selon les statuts – sont de vrais moments collectifs entre acteurs publics, privés, associatifs ou citoyens.

Les défis à relever

En revanche, plusieurs limites peuvent être observées concernant ces structures :

  • Pressions commerciales : en tant qu’entités économiques, elles sont tenues de générer du chiffre d’affaires et d’atteindre la rentabilité. Or, elles interviennent sur un marché déjà très concurrentiel, où des acteurs privés sont bien établis.
  • Moyens requis : ces activités requièrent de l’expertise et des ressources parfois importantes (ingénieur(e), chargé(e) de communication, commercial(e) et bien sûr directeur(ice) général(e) sur leur dimension territoriale) et donc d’importants coûts de structure.
  • Limites géographiques : de plus, leur implantation territoriale réduit de fait leur marché, ce qui peut conduire ces structures à devoir diversifier leur activité, en termes de géographie ou de métiers, la plupart d’entre elles proposant des prestations intellectuelles d’accompagnement des entreprises ou des collectivités en amont de leur démarche de compensation. Ces prestations se retrouvant elles-aussi sur le champ concurrentiel.

Conclusion : L'implication des collectivités, une nécessité

Le financement de la transition environnementale est avant tout un enjeu territorial. Aussi, il est primordial que les collectivités locales se saisissent de ce sujet et portent une réflexion sur leur rôle dans ce cadre.

Si, quantitativement, l’implication des collectivités reste marginale (IGEDD, IGA, 2023), elle est nécessaire pour informer, animer, participer et piloter des stratégies territoriales en faveur du financement de projets d’atténuation ou d’adaptation.

Les retours d’expériences sont nombreux et permettent aux nouveaux entrants de capitaliser sur l’existant pour bâtir des stratégies territoriales pertinentes. Pour autant les contours du « marché » évoluent encore fortement et restent dépendants du contexte économique, de la réglementation et des dispositifs nationaux ou européens.

Cela doit inciter les acteurs publics locaux à coopérer sur leur action et peser collectivement pour faire évoluer le contexte dans lequel elles s’inscrivent.

 

Note : [1] Cet article n’étudie pas les Paiements pour Services Environnementaux publics, déployés notamment par les Agences de l’Eau.