Ce texte se rattache à une série de 16 articles issus d'une recherche soutenue par l’Institut pour la recherche de la Caisse des Dépôts sous la direction de François Bafoil et Gilles Lepesant sur les enjeux de l'eau et de l’adaptation au changement climatique.

Tout au long de cette série, à raison d’un nouvel article chaque semaine, François Bafoil, directeur de recherche émérite au CNRS/CERI-Sciences Po., rend compte de plusieurs aspects en s’attachant aux phénomènes d’érosion du trait de côte, de submersion sur les littoraux, d’inondation dans plusieurs territoires à l’instar des marais et des vallées, et enfin de sécheresse et de conflits d'usage autour de l'eau. Ces travaux feront l’objet de la publication d’un rapport en septembre 2022.

SOMMAIRE

  1. CHRONIQUES DES TEMPÊTES (1/2) Quelques leçons tirées de la tempête Xynthia
  2. CHRONIQUES DES TEMPÊTES (2/2) La tempête Alex, un an après
  3. LA GESTION DU TRAIT DE CÔTE (1/3) Trait de côte et politiques de relocalisation
  4. LA GESTION DU TRAIT DE CÔTE (2/3) Le trait de côte dans la baie de Somme. Défendre ou reculer ?
  5. LA GESTION DU TRAIT DE CÔTE (3/3) Survey. Les modèles de submersion marine
  6. L'EAU ET LA GOUVERNANCE (1/3) La lutte contre les inondations. Gemapi et Papi
  7. L'EAU ET LA GOUVERNANCE (2/3) Les évaluations du dispositif Gemapi
  8. L'EAU ET LA GOUVERNANCE (3/3) PAPI. Le cas de l’agglomération Cannes-Lérins
  9. LES CONFLITS AUTOUR DE L'EAU EN AGRICULTURE (1/4) Gestion de l’eau et enjeux politiques
  10. LES CONFLITS AUTOUR DE L'EAU EN AGRICULTURE (2/4) Le Conservatoire du Littoral. Le marais de Brouage
  11. LES CONFLITS AUTOUR DE L'EAU EN AGRICULTURE (3/4) L’irrigation - Les conflits autour des "Bassines"
  12. LES CONFLITS AUTOUR DE L'EAU EN AGRICULTURE (3/4) La Tour du Valat en Camargue
  13. LES FINANCEMENTS (1/2) Les CatNat
  14. LES FINANCEMENTS (2/2) Evaluation et propositions d’amélioration du système des CatNat
  15. LA CULTURE DU RISQUE (1/2) Les dimensions de l’ignorance, de l’oubli et du déni
  16. LA CULTURE DU RISQUE (2/2) Les mesures pratiques

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PAPI. L’agglomération de Cannes 

Pour illustrer le dispositif PAPI présenté dans le billet « L’EAU ET LA GOUVERNANCE (1/3) La lutte contre les inondations. Gemapi et Papi », le cas de Cannes [1] est intéressant à deux titres. D’abord, parce que l’agglomération [2]  Cannes-Lérins se trouve au confluent de trois grands bassins versants (Brague, Siagne/ Béal, Riou de l’Argentière) et d’une trentaine de petits bassins versants, urbanisés [3]. Or la place laissée à la rivière dans la ville est très réduite et c’est notamment l’un des enjeux du PAPI que de réaménager les différents lits et d’assurer en même temps la protection des habitants

A cela s’ajoute la problématique de la mer. En 2003 un séisme a eu lieu à l’est d’Alger d’une amplitude de 7 sur l’échelle de Richter dont les répercussions se sont fait sentir jusqu’à Cannes : le port de Théoule-sur-Mer s’est vidé (avec un retrait complet et quelques entrechoquements de bateaux). En 2019, une houle très forte a entraîné des affouillements violents et endommagé, notamment, une partie de la chaussée du boulevard du Midi qui a été réparée à un coût faramineux.

« A horizon 2050 la situation s’aggrave. Si l’on n’a que 30 cm de niveau d’eau en plus, ça sera très problématique. Donc quid des ouvrages ? Il faut regarder le Languedoc, Palavas, la Grande Motte : tous sont tournés vers la mer mais ce n’est que du sable, et ça ne retient pas. Toute l’économie est tournée vers la mer, donc si on a un évènement l’été, il faut protéger les touristes qui représentent des dizaines de milliers de personnes ».
Entretien le 7 décembre 2021 avec le directeur des risques majeurs à la Ville de Cannes.

Par ailleurs, l’agglomération regroupe cinq communes, soit 26% de sa population logée en zone inondable. 8000 bâtiments en relèvent mais aussi 50% des campings et établissements sensibles. S’ajoute la présence de plus de 350 parkings souterrains (privés et publics) et l’on se souvient de la date du 3 octobre 2015 : en moins de deux heures ce jour-là, 196 mm sont tombés sur la ville pour un total de 1 500 000m3 d’eau, soit l’équivalent d’une piscine olympique toutes les 8 secondes. C’est à cette occasion, que plusieurs personnes totalement affolées par la soudaineté de la montée des eaux se sont précipitées dans les parkings souterrains pour y chercher leurs véhicules et y sont mortes. Sur la frange littorale, 20 décès ont été recensés.

« En 2015, les inondations ont été un choc terrible. 200mm d’eau se sont abattus en deux heures provoquant la mort de vingt personnes, principalement à Mandelieu, à Antibes et à Cannes (quatre morts). Ce fut un traumatisme, et quand il y a traumatisme, il y a prise de conscience et mise en place de mesures adéquates. Ça a été l’électrochoc, « la pédagogie des catastrophes » pour reprendre le mot de Lagadec. Parfois il y a oubli. Mais ici, c’est le contraire qui s’est passé car on était sûrs que ça se reproduirait : et ça s’est reproduit deux fois en 2019, mais cette fois sans faire de victimes. Au niveau de l’encadrement de la ville de Cannes, il y a eu une réactivité énorme pour se préparer. Comment l’expliquer ? Par le fait que la population avait été traumatisée en 2015. Maintenant, si on diffuse l’alerte rouge de Météo France, les gens se mettent en situation. Avant 2015 on avait souvent des vigilances orange mais pas de grosses pluies, ça se banalisait un peu. On ne s’attendait pas en 2015 à la violence et les 200 mm en deux heures. C’est là qu’on a dit vigilance orange, c’est grave, on se protège. Le syndicat intercommunal, le SMIAGE, a été créé à ce moment-là par l’État et le département pour éviter les petites organisations locales ».

Entretien le 7 décembre 2021, idem

 

Le PAPI. La gouvernance politique

Trois PAPI ont été mis en place sur le territoire de l’agglomération. Le premier en 2015 a concerné Mandelieu ; le deuxième la Siagne incluant Mandelieu et Cannes, et le troisième Cannes Pays de Lerins qui comprend les autres cours d’eau. La communauté d’agglomération assure la coordination, par le biais de son Pôle d’eau, qui inclut l’eau liée aux inondations, l’eau potable et les eaux usées. Une vingtaine de salariés y travaille.

Le PAPI lancé après 2015, soit peu de temps après la catastrophe, a bénéficié de fonds importants pour réaliser des travaux du type : recalibrer un vallon, construire une digue, aménager un quartier en améliorant la gestion des cours d’eau avec des outils intelligents et en y associant les citoyens ou encore en ayant accès aux écoles. Enfin, notons que sur Cannes, le PAPI a été lancé par l’EPCI mais c’est le syndicat intercommunal, le SMIAGE qui porte nombre d’actions.

L’aspect le plus important de ce programme a été le portage politique qui a permis de réaliser le projet en quatre ans, quand la moyenne en France s’établit à huit ans. Les inondations ont eu lieu en octobre 2015 et dès janvier de l’année suivante, l’intercommunalité a pris la compétence GEMAPI. Une équipe Eau était déjà en place qui s’est trouvée renforcée de quatre personnes. Selon notre interlocuteur, « le PAPI, il était important de le faire en partenariat notamment avec la DGPM c’est-à-dire l’Etat ». 

L’État a ainsi fixé par le biais du PPRI les servitudes d’utilité publique assignées au Plan d’urbanisme en prenant en compte les risques inondation qui concernent la partie ouest de la ville, et donc en englobant tous les cours d’eau qui n’étaient pas inclus précédemment dans le PPRI. 
« Maintenant – nous dit notre interlocuteur - on évite de construire n’importe où, et d’aggraver les autres vulnérabilités. Et donc le risque inondation concerne une très grande partie du territoire de Cannes ».

L’agglomération s’est chargée de la mise sur pied du PAPI en assurant notamment la culture du risque tandis que les charges techniques étaient déléguées au SMIAGE. Quatre paramètres ont encadré cette politique : 

  1. L’anticipation (avec pour représentation de s’attendre à la situation extrême) ; 
  2. Le suivi (et l’évaluation) ; 
  3. La réponse opérationnelle (en matière de réseaux et d’infrastructures) ; 
  4. L’apprentissage (et donc le retour d’expérience).

Le service gestion des risques

« Un maire doit élaborer un plan communal de sauvegarde dans lequel se trouve expliqué comment la sécurité est organisée avec le PC communal et la cellule de crise, les caméras, l’évaluation des points sensibles : cours d’eau, points bas, etc. Chaque cellule remplit une fonction précise : communication, anticipation, message. Il faut multiplier les supports. Nous, nous gérons les messages ainsi que la préparation à la gestion de crise. Les missions consistent en la gestion de la prévention des risques et l’information de la population (avec notamment le journal DITRIM tiré à 10 000 exemplaires, dont 4000 pour l’action du service, le reste est distribué dans les annexes municipales, lieux culturels, etc.) et la sensibilisation des jeunes. Notre objectif est de diffuser dans l’administration et la population ce qui relève de la culture du risque, à savoir l’information préventive et les alertes avec, notamment, l’envoi de sms mais aussi l’utilisation des réseaux sociaux, jusqu’aux haut-parleurs pour que les populations soient informées »
Entretien le 7 décembre 2021, idem

La culture du risque

La problématique de la communication s’est rapidement imposée comme l’enjeu majeur et ce, à partir de deux interrogations. Si l’Internet vient à disparaître, que faire sinon compter sur la radio bien plus robuste que le satellite qui, lui, réclame le partage des mêmes outils par les utilisateurs, ce qui n’est pas pensable actuellement. Par ailleurs, comment et où se rassembler dans un lieu sécurisé tel que nulle catastrophe n’entrave le commandement et la coordination des opérations ? C’est pourquoi le maire a donné son accord pour la mise sur pied d’un local parasismique  - soit, un rez-de-chaussée sans fenêtre avec prise d’air sécurisée. Car les risques majeurs sont déjà connus, sous les espèces des produits chimiques, des techniques hypersophistiquées (dans l’eau et dans l’air), des catastrophes naturelles, et pour ce responsable, « on ne peut pas être dans l’ignorance des drames qui peuvent avoir lieu ».

Trois stratégies ont vu le jour

D’abord, une connaissance approfondie du territoire (géographie, aléas, diagnostic, modélisation, cartographie, projection, avantages coûts-bénéfices). C’est la dimension technique de la connaissance, des études et des modèles.

La deuxième stratégie est centrée sur les citoyens, partant de l’idée qu’ils doivent être engagés dans le processus de protection, car l’habitant est au cœur de la démarche de sécurité. 600 élèves ont été formés depuis cet évènement. Par ailleurs, les citoyens sont formés pour disposer d’un diagnostic, des visites sont faites, suivies de rapports et de retours sur les enjeux et les manières de se prémunir du risque.

Comme l’affirme notre interlocuteur : 
« On a tout de suite proposé une application mobile pour connaître les alertes météo ; également, pour ceux qui acceptaient d’être dans nos fichiers, de recevoir un message. Dès 2017, on a fourni les diagnostics de vulnérabilité et on les a envoyés à 3000 personnes. On s’est rendu compte que ça n’avait pas forcément bien marché car ils ont craint pour la valeur estimée de leurs biens. Mais après les deux derniers évènements tragiques de 2017, les gens nous ont questionnés et nous ont envoyé leurs propositions. La culture du risque est fondamentale ».

Par ailleurs, une réserve communale de sécurité civile a été mise sur pied : les maires des communes peuvent faire appel aux citoyens pour qu’ils interviennent dans les actions de prévention, en période normale ou de catastrophe en assurant les tâches de de nettoyage et d’assistance aux personnes. De plus, les citoyens sont formés et équipés pour venir en soutien de l’équipe municipale dans les écoles. A ce jour, 75 volontaires interviennent, dont notamment huit réservistes parmi lesquelles on trouve trois enseignantes à la retraite. Chaque année 1000 élèves sont formés à la prévention qui inclut la connaissance de la signalétique Tsunami, l’aide des sinistrés, le nettoyage des routes, l’équipement des gymnases réquisitionnés en cas de catastrophe. Enfin, un partenariat a vu le jour avec une association de sécurité civile, habilitée pour ouvrir un centre d’accueil avec un appui psychologique. L’association dirige ses propres équipements, et les réservistes viennent en appui pour les aider.

Quant aux aménagements urbains qui ont représenté l’autre terrain d’intervention, ils ont été repensés par le biais de la transparence hydraulique dont les travaux ont été conduits conjointement avec le maire, le préfet et la DGTM. Sous ce chapitre, beaucoup a été acquis et beaucoup a été déconstruit : soit 20 000m2 et ce, non par le biais d’expropriations mais par l’usage du fonds Barnier.  

« Sur Cannes, je porte un regard positif sur la culture du risque : 2015 c’était totalement inattendu. Mais en 2019, pour un évènement similaire, certes il y a eu des dégâts mais il n’y a pas eu de morts. La population a été résiliente, et surtout elle a su appliquer les bons réflexes »
Entretien le 7 décembre 2021, idem
 

[1] Voir Journée de prévention des inondations le 13 octobre 2020 https://www.dailymotion.com/video/x7x2la4

[2] Rappelons qu’au-dessus de l’échelon de la municipalité se trouvent 1. la communauté d’agglomération ; 2. la communauté urbaine pour les ensembles supérieurs à 200 000 habitants, 3. les métropoles, qui disposent de plus de 500 000 habitants, à l’instar de Nice

[3]  L’agglomération est petite : 5 communes soit 180 000 habitants : Cannes 75 000 hab. (mais trois fois plus l’été), 17 000 chambres, le festival mondialement connu mais aussi nombre de congrès ; Mandelieu 30 000 hab. ; Mougin 20 000 hab. ; Le Canet 40 000 hab. ; Téoule-sur-Mer 1360 habitants.